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hâte d’accourir pour fermer chaque nouvelle issue. N’y a-t-il pas cependant un dernier effort à tenter ? Si l’on déblayait les vieilles galeries abandonnées, ou si l’on en creusait de nouvelles ? Les fourmis déposent aussitôt leurs fardeaux et se mettent bravement à l’œuvre. De nouvelles ouvertures sont pratiquées, et elles reprennent leurs œufs. Déjà elles se croient sauvées ; mais la fumée les a encore trahies, et, au moment où elles paraissent sur les bords, un coup de bêche vient les avertir qu’elles sont poursuivies par un ennemi impitoyable. Cependant les nègres postés près du fourneau envoient toujours de grands renforts de vapeurs brûlantes qui dessèchent et carbonisent les corps frêles de ces courageux insectes. En même temps l’air devient de plus en plus rare, les efforts se ralentissent. Bientôt on ne voit plus de nouvelles colonnes sortir du sol. L’opération touche à son terme. Les forces leur ont manqué en pratiquant une dernière issue, et elles sont tombées sans vie. Le lendemain, quand tout est suffisamment refroidi, on les retrouve dans leurs galeries, gisant à côté de leurs œufs calcinés, mais encore reconnaissables. Le terreau qu’on retire de leurs demeures et de leurs cadavres forme un engrais des plus puissans.

Les orages diluviens qui pendant six mois inondent le sol apportent heureusement une certaine limite à l’accroissement immodéré de ce peuple maraudeur. Cependant on a souvent besoin du formigueiro dans les champs, surtout quand on défriche. On voit alors les nègres souffler à force dans la terre, tandis que des colonnes de fumée bleuâtre, qui quelquefois s’élèvent à plus de cent pas du foyer, indiquent assez l’étendue de la fazenda souterraine qu’il s’agit de détruire, et font pressentir les ravages qu’elle devait causer au dehors. Ajoutons, pour être juste, que la fourmi n’est pas sans quelque utilité. Les grosses espèces ailées servent d’alimens aux noirs, surtout à ceux qui se rappellent leurs coutumes d’Afrique. C’est surtout le soir, dans la saison des amours, lorsque les mâles épuisés tombent par milliers sur le sol, que les gourmets se régalent à leur aise. Il va sans dire qu’ils ne sont pas seuls à courir ce menu gibier, et que les macacos ou singes leur font une redoutable concurrence.

Les lecteurs doivent avoir remarqué que, dans cette esquisse de la fazenda, c’est à peine s’il a été question de la senhora. J’ai pour habitude de ne parler que de visu, et je ferais une peinture de fantaisie, si je cherchais à tracer le portrait d’une créole de l’intérieur. De toutes les habitudes léguées par les anciens conquistadores à leurs descendans, la séquestration des femmes est la plus tenace. Les appartemens des Brésiliennes sont aussi impénétrables à l’étranger que le harem musulman. Cette coutume, inspirée par la jalousie la plus ridicule, se retrouve dans toutes les provinces d’alluvion portugaise. Les conséquences en sont faciles à déduire. Condamnée à