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à l’aide de quelques petites industries inconnues de ses confrères transatlantiques. Si un fazendeiro ne se croit pas assez riche ou assez dévot pour se payer une messe par semaine, il s’entend avec ses voisins. Le padre alterne alors de semaine en semaine, de ferme en ferme, jusqu’à ce qu’il revienne au point de départ. Si sa cure est trop ingrate, il se fait un supplément en élevant des bestiaux ou en tenant une venda (auberge). Je rencontrai un jour dans la province de Minas un de ces révérends qui courait les fermes et les messes à la tête d’un troupeau de bœufs. Surpris tous deux par la pluie, nous étions venus demander asile au même rancho. Assis sur un banc, nous liâmes bientôt conversation.

— Vous voyez, senhor ; me dit-il en poussant un profond soupir, le métier auquel un homme de ma condition est maintenant réduit. Du temps du roi dom João VI, nous avions plus de messes que nous n’en voulions ; depuis l’indépendance, tout est changé. Il y a bien encore quelques senhoras qui en font dire de temps à autre, mais leurs maris préfèrent employer leur argent en bœufs ou en mules. Voilà pourquoi vous me voyez comme un tropeiro. Vous n’auriez pas par hasard rencontré sur votre route quelque fazendeiro qui eût besoin de renouveler ses bêtes à cornes, ou qui désirât un chapelain ?

J’avais entendu parler d’une dame des environs, récemment décédée, et qui, voulant se mettre en règle avec sa conscience ou obéir à un usage, avait porté 400 milreis (1,000 francs) de messes sur son testament. Je ne me rappelais pas le nom de la dame, mais j’indiquai au padre le village qu’elle habitait, et qui n’était qu’à quelques lieues de là. J’ajoutai, afin de prévenir toute déception, que le décès remontait déjà à plusieurs jours, et que probablement cette somme était destinée au padre de la freguezia (paroisse) voisine.

— Soyez tranquille, senhor ; s’il en est temps encore, je me charge d’enlever l’affaire… Moleque, cria-t-il aussitôt à son chef de caravane, va me chercher ma mule, et vivement !

Quelques minutes après, notre révérend partait au grand trot de sa monture malgré la pluie, qui continuait de plus belle. Laissant au nègre la garde du troupeau, il alla droit à l’exécuteur testamentaire, et lui proposa sans détour un reçu de 400 milreis contre paiement de moitié de la somme. La proposition était trop séduisante pour être refusée : celui-ci ne montra donc que juste les rigueurs nécessaires en pareille circonstance, et finit par compter les 200 milreis.

Ordinairement père de famille, le padre puise dans ses sentimens de paternité une bonté de cœur qui trop souvent n’existe que sur les lèvres chez ses austères collègues de l’ancien monde. Ses paroïssiens