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soit par un reste de fierté portugaise, soit par suite de la richesse du sol, qui semble fournir de lui-même à tous les besoins ; mais il n’en saurait être de même de l’esclave : dénué de tout, n’ayant parfois qu’une nourriture insuffisante, il fait main basse sur tout ce qui se trouve à sa portée. C’est ordinairement la nuit qu’il choisit pour ses excursions. Aussi tout propriétaire voit-il dans son nègre un pillard dont il doit se méfier. Sachant que sa surveillance, jointe à celle de ses feitors, est souvent insuffisante, il charge, moyennant quelques cierges, son patron de lui tenir lieu de garde champêtre. C’est ordinairement à saint Antoine, le saint le plus vénéré du Brésil, que revient cet honneur. C’est encore saint Antoine qui dans la saison des orages est tenu de servir de paratonnerre à toutes les plantations de la péninsule australe. Les porchers, si nombreux dans certaines provinces, et dont il est, comme chacun sait, le patron spécial, le surchargent de besogne. Quoi de plus naturel qu’un nègre fripon réussisse quelquefois à tromper la surveillance d’un saint si occupé ? Le planteur n’en continue pas moins à lui brûler des cierges malgré ces petits oublis, persuadé que le mal qui lui échappe n’est pas la centième partie de celui qu’il prévient.

Pourtant, si les vols deviennent trop hardis ou se renouvellent, on imagine d’autres expédiens. On tente d’abord de découvrir le coupable, afin de le surveiller de plus près et de lui infliger la bastonnade ; mais si l’esclave suspecté est un vieux nègre malin, il faut revenir aux moyens surnaturels. On s’adresse alors au sorcier des environs (feiticeiro). C’est ordinairement un ancien esclave devenu libre, ou un Indien mi-sauvage, mi-civilisé, qui exerce cette lucrative profession. Pendant mon séjour au Brésil, un fazendeiro de la province de Minas s’aperçut un matin que son parc de cochons diminuait sensiblement. Soupçonnant ses nègres, il organisa des rondes pendant la nuit, mais sans succès. Ne sachant plus que faire, il appela à son secours un vieux noir, jadis son esclave, et qui avait un grand renom de sorcellerie dans le voisinage. Son aspect étrange était en parfaite harmonie avec sa profession. À la suite d’une maladie qui avait dévoré son épiderme en plusieurs endroits, la surface de son corps ne présentait qu’une suite de plaques alternées de blanc et de noir ; on eût dit un singe déguisé en jaguar, ce qui expliquait probablement le surnom d’Onça (panthère) qu’il portait dans le pays.

— Écoute, Once, lui dit son ancien maître, si tu es réellement feiticeiro, comme on le dit, trouve-moi le voleur de mes cochons. Je sais que tu aimes la cachaça, je t’en approvisionnerai pour l’année. Si tu ne peux pas le découvrir, dispose-toi à quitter sur-le-champ mes terres et à aller exercer ton industrie ailleurs.