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le linge des voyageurs. Le chef de la maison, avec sa femme en croupe, suivait de l’œil tous les mouvemens de la turbulente ménagerie. Un énorme parasol garantissait le couple des fureurs ardentes du soleil. Un chien qui suivait à pied faisait escorte.

Je m’arrêtai pour laisser défiler la caravane, car il n’est guère possible de cheminer deux de front dans les sentiers des forêts américaines. Comme le macaco passait à côté de moi, il avisa quelques bâtons de rosca (biscuit) dans mes larges bottes, où, comme tous les voyageurs du désert, je tenais mes provisions, et, allongeant ses bras à travers les barreaux de sa cage, il enleva prestement deux biscuits. Son compagnon, pensant qu’un seul devait lui suffire, essaya de lui tirer le second des mains et d’en faire son profit ; le quadrumane, peu initié aux doctrines évangéliques, défendait son bien en montrant les incisives. Le papagaio (perroquet), voyant de son gros œil inquiet qu’on festinait chez ses voisins, voulut aussi sa part, et se mit à crier et à battre des ailes pour qu’on s’occupât de lui ; soit frayeur, soit tentation, l’autre petit garçon se mit aussi à pleurer, et le désordre fut au comble. Je fus obligé, pour mettre fin à ce vacarme, de descendre et de distribuer tout mon biscuit.

He gente pequena (ce sont de petites gens), me dit le guide dès que nous fûmes éloignés.

— Et à quoi reconnaissez-vous cela ?

— Oh ! senhor ! il n’y a pas à s’y tromper. Si c’étaient des gens riches, ils emmèneraient avec eux beaucoup d’esclaves et de mules pour leur faire escorte ; ils ne laisseraient pas leurs enfans mourir de faim, ainsi que ces pauvres bêtes, qu’ils auraient mieux fait de laisser dans la forêt à la grâce de Dieu, et vous n’auriez pas été dévalisé par ce damné macaco.

Quand une senhora ne peut pas supporter une monture, on cherche alors d’autres expédiens. Tantôt on a recours à une charrette traînée par six paires de bœufs, tantôt on se sert d’une litière soutenue par deux mules. La première, attelée comme à l’ordinaire, conduit la marche, tandis que la seconde, placée à l’arrière, touche presque de sa tête le siège de la senhora. Toutefois, comme les fondrières des chemins rendent les soubresauts inévitables, on préfère, quand on veut transporter une malade, se servir d’un hamac suspendu à une forte traverse, que deux nègres robustes portent sur leurs épaules. Si la route est longue, la litière est suivie d’une escouade d’esclaves qui se relaient.

Souvent, sous prétexte de rendre visite, le créole va monter une partie de cartes chez un voisin. Le jeu est la passion dominante de l’Américain. C’est le jeu qui absorbe souvent ses revenus, au grand détriment des routes, des canaux, des chemins de fer, en un