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souffle, tantôt se dérobant à demi, tantôt étalant avec orgueil leur incomparable blancheur, on dirait un immense bouquet agité par des mains invisibles.

C’est à ces trois termes, — sucre, café, coton, — que se réduit l’agriculture brésilienne. Le blé ne paraît sous forme de pain que sur la table des riches et des Européens ; la classe pauvre et les habitans de l’intérieur ne le connaissent que de nom. On y supplée par le manioc, le riz, le maïs et le feijão (haricots). Quant aux autres denrées des tropiques, vanille, cannelle, cacao, caoutchouc, salsepareille, etc., ce sont les Indiens qui cueillent ces produits dans les forêts où le hasard les a jetés, et qui, à des époques fixes, viennent les troquer contre des vêtemens, des armes ou de la cachaça dans les comptoirs portugais.

Les ressources agricoles dû Brésil nous étant ainsi connues, pénétrons dans la fazenda, et d’abord observons la vie du planteur. Cette vie est assez active pour le propriétaire sérieusement décidé à s’occuper de ses affaires. Dès la pointe du jour, il se lève, monte à cheval, et, accompagné d’un écuyer, profite de la fraîcheur du matin pour inspecter le travail des nègres et visiter ses domaines : parfois il a à réparer un pont emporté par un orage, à percer un nouveau chemin au milieu d’une forêt, à changer un pasto ou à faire monter une machine. De retour vers neuf heures, il fait rapidement sa toilette, et, traversant la varanda en allant déjeuner, emmène avec lui tous les convives que les hasards des chemins ont réunis dans la matinée : chasseurs, mascates (colporteurs), muletiers, etc. Les voyageurs qui arrivent de la cidade apportent les nouvelles du jour, et chasse, ministère, constitution, mules, nègres, tout est objet de discussion. Le repas achevé, chacun prend un palhito (cure-dent de bois), et revient sous la varanda, où les noirs apportent le café. Peu à peu le silence se fait dans l’habitation ; les étrangers ont repris leurs mules et continuent leur chemin. Le fazendeiro profite alors de ce répit pour continuer son inspection, si quelque affaire urgente l’appelle au dehors. Dans le cas contraire, il rentre dans son appartement, fait sa sieste, lit les journaux, écoute les rapports des feitors, et met en ordre sa correspondance.

À trois heures, on se remet à table. Le personnel des convives a subi quelques changemens. Au lieu d’un mascate, on voit figurer quelque gentleman de la cidade qui, par ordre des médecins, vient attendre à la campagne que les fortes chaleurs soient passées. Une famille d’émigrans est venue demander l’hospitalité de la posada pour la nuit. Avec des hôtes d’origine si diverse, la conversation ne saurait languir. On atteint ainsi le moment où les feux du soleil commencent à diminuer. Vers quatre ou cinq heures, chacun va