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perdue pour l’agriculture. Il faut attendre qu’une autre forêt vierge tire des entrailles du sol les élémens d’une végétation nouvelle. J’ai vu d’anciennes plantations de café abandonnées, au dire des gens du pays, depuis bien des années. L’œil n’apercevait que des mornes dénudés à leur sommet, et presque sans trace de végétation, chose étrange dans une terre où la sève semble même jaillir de la pierre. Les pluies, n’étant arrêtées par aucun obstacle, avaient emporté le sol arable, et laissaient la roche à découvert. La vallée, il est vrai, profitait de ces détritus. Là, les plantes, trouvant un point d’appui pour retenir l’humidité, s’élèvent en toute hâte, gagnent peu à peu le pied de la colline, et indiquent qu’elles la reconquerront un jour. C’est ainsi que, dans une longue succession de siècles, se sont formées et se forment journellement les forêts qui recouvrent les montagnes de granit.

Les plantations de cannes à sucre sont plus aisément reconnaissables que celles de cafiers ; elles ressemblent, à s’y méprendre, à des champs de roseaux. La grosseur des cannes varie suivant l’altitude ou plutôt suivant la quantité d’eau et de soleil qu’elles reçoivent. J’ai vu plusieurs fois sur les plateaux de l’intérieur la canne indigène, que les noirs appellent canne de macaco (canne de singe) ; elle m’a généralement paru de la grosseur d’un roseau ordinaire, tandis que certaines espèces atteignent, dans les régions basses et humides, des proportions gigantesques. Le mode de culture varie aussi suivant la localité. En certains endroits, on pratique des coupes annuelles dans la même plantation pendant plusieurs années de suite, tandis que dans d’autres on se contente d’une ou de deux.

La fabrication du sucre est trop connue pour que j’entre, dans de longs détails à ce sujet. La tige coupée est immédiatement portée sous un cylindre qui la broie. Le jus, de couleur verdâtre, est conduit par une rigole dans une série de chaudières qui le concentrent graduellement. Les gens du pays attribuent à cette liqueur une foule de propriétés curatives, et ne manquent pas de s’en régaler. Les noirs surtout en font grand usage, mais ils trouvent plus commode de mordre à pleines dents dans la canne. La liqueur ainsi obtenue a une saveur fraîche et sucrée, tandis que le jus venu des cylindres, contenant tous les sucs qui se trouvent dans la tige, laisse à la bouche un arrière-goût d’herbage. Quelques pintes de lessive tirée des cendres de certaines plantes riches en potasse entraînent la plus grande partie de ces matières ; le reste est éliminé plus tard par la clarification.

Quand l’action du feu commence à se faire sentir, un esclave posté devant la dernière chaudière observe attentivement la coloration de la liqueur et les divers degrés de consistance : une longue