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plus qu’ici il ne s’agit plus seulement de compléter la description de notre belle colonie, mais bien d’apporter des matériaux au grand édifice de la science naturelle en général. C’est le savant M. Deshayes, illustré par d’immenses travaux sur cette matière, qui s’est chargé de la conchyliologie, ou pour mieux dire de la malacologie relative aux trouvailles et découvertes de M. Maillard. Cette annexe forme donc un travail du plus grand intérêt, et l’on peut dire qu’elle est un monument acquis à la science dans une de ses branches les plus ardues.

Beaucoup de personnes dans le monde se doutent peu du rôle immense que jouent les mollusques dans l’économie de notre planète. On s’en pénètre en lisant les pages par lesquelles M. Deshayes ouvre l’étude spéciale dont nous nous occupons ici. La conscience et la modestie, conditions essentielles du vrai savoir, obligent ce grand explorateur à nous dire que la connaissance de vingt mille espèces provenant de toutes les régions du monde n’est rien encore, et que de trop grands espaces sont encore trop peu connus pour qu’il soit possible d’entreprendre un travail d’ensemble satisfaisant. Si un pareil chiffre et celui qu’on nous fait entrevoir nous étonnent, reportons-nous au noble et poétique livre de M. Michelet, la Mer, et notre imagination au moins se représentera la puissante fécondité qui se produit au sein des eaux, et qui n’a aucun point de comparaison avec ce qui se passe sur la terre. C’est là que la nature, échappant à la destruction dont l’homme est l’agent fatal, et se dérobant à plusieurs égards à son investigation, enfante sans se lasser des êtres innombrables dont l’existence éphémère se révèle plus tard par l’apparition de continens nouveaux, ou par l’extension des continens anciens. Cette incessante et universelle formation de la terre par les mollusques commence aux premiers âges du monde. C’est sous cette forme élémentaire d’abord et de plus en plus compliquée que la vie apparaît, mais avec quelle profusion étonnante ! Notre monde, nos montagnes, nos bassins, les immenses bancs calcaires qui portent nos moissons ou qui servent à la construction de nos villes ne sont en grande partie qu’un amoncellement, une pâte de coquillages, les uns d’espèce si menue qu’il faut les reconnaître au microscope, les autres doués de proportions colossales relativement aux espèces actuellement vivantes ! Ainsi les grands et les petits habitans des mers primitives ont bâti la terre et ont constitué ses premiers élémens de fécondité. Ils ont disparu pour la plupart, ces travailleurs du passé à qui Dieu avait confié le soin d’établir le sol où nous marchons ; mais, leur œuvre accomplie sur une partie du globe, n’oublions pas que la plus grande portion de ce globe est encore à la mer et que la mer travaille toujours, que ses vastes bassins tendront toujours à se combler par l’entassement des dépouilles animales qui s’y accumulent et par le travail ininterrompu des coraux et des polypiers, enfin qu’on peut admettre l’idée de leur déplacement partiel sans secousse, sans cataclysme, et sans que les générations qui peuplent la terre s’en