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puissance motrice, de porter le fluide d’un corps froid à un corps plus chaud, tout comme, au moyen d’un effort extérieur, on porte de l’eau d’un bassin inférieur à un réservoir plus élevé. On comprend facilement le danger et le leurre que renfermait la doctrine de Sadi Carnot. La chaleur, sortant d’un corps en vertu de cette force spéciale du nivellement des températures, devait, chemin faisant, produire du travail et se retrouver ensuite tout entière dans un corps différent. La machine à vapeur empruntait ainsi sa puissance, non pas à une consommation de chaleur, mais à un rétablissement d’équilibre dans le calorique. « Malgré cette erreur fondamentale, dit M. Verdet, le nom de Sadi Carnot et celui de son savant commentateur, M. Clapeyron, occuperont toujours une place importante dans l’histoire de la science. Sadi Carnot est l’auteur des formes de raisonnement dont la théorie mécanique fait sans cesse usage ; c’est dans son écrit qu’on trouve les premiers exemples de ces cycles d’opérations qui prennent un corps dans un état déterminé, le font passer à un état différent en suivant un certain chemin, et le ramènent par une autre voie à son état primitif. M. Clapeyron a éclairci ce que le mémoire de Carnot avait d’obscur, et a montré comment on devait traduire analytiquement et représenter géométriquement ce mode de raisonnement si neuf et si fécond. Ces deux géomètres ont créé en quelque sorte la logique de la science. Lorsque les véritables principes ont été découverts, il n’y a eu qu’à les introduire dans les formes de cette logique, et il est à croire que, sans les anciens travaux de Carnot et de M. Clapeyron, les progrès de la théorie nouvelle n’auraient pas été à beaucoup près aussi rapides. »

Ces véritables principes qui ont enfin établi la thermo-dynamique sur des bases solides, on les trouve dans les travaux de ces deux savans étrangers dont nous avons déjà parlé, M. Jules-Robert Mayer, médecin à Heilbronn, M. Joule, professeur de physique à Manchester.

Les quatre ouvrages principaux de M. Mayer, Remarques sur les forces de la nature inanimée (1842), le Mouvement organique dans ses rapports avec la nutrition (1845), l’Introduction à la mécanique du ciel (1848), les Remarques sur l’équivalent mécanique de la chaleur (1851), renferment dans leur ensemble les diverses considérations que nous avons exposées dans les pages qui précèdent. Son point de départ fut tout physiologique. Il raconte lui-même que ses travaux furent provoqués par l’incident d’une saignée faite à un fiévreux à Java en 1840, et par cette remarque que le sang veineux, dans les régions tropicales, est d’un rouge beaucoup plus brillant que dans les régions plus froides ; mais ses études ne restèrent point circonscrites dans le champ de la physiologie, et dans l’espace de dix années cet homme de génie aborda successivement la plupart