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M. Verdet a terminé ses leçons par une courte histoire de la théorie nouvelle. On peut assigner une date fixe à l’origine de cette théorie, et en reporter la naissance véritable à l’année 1842. Sans doute, avant cette époque, plusieurs savans purent en entrevoir quelques parties et en toucher quelques points. C’est ainsi que l’on trouve dans un mémoire de Lavoisier et Laplace sur la chaleur (1780), le passage suivant : « D’autres physiciens pensent que la chaleur n’est que le résultat des vibrations insensibles de la matière… Dans le système que nous examinons, la chaleur est la force vive qui résulte des mouvemens insensibles des molécules d’un corps ; elle est la somme des produits de la masse de chaque molécule par le carré de sa vitesse… » Mais de cette assertion si originale et si précise il ne paraît pas que Lavoisier et Laplace aient jamais tiré aucun profit, Laplace surtout abandonna complètement cette manière de voir, et défendit résolument la doctrine vde la matérialité du calorique. On a vu plus haut comment, au commencement de ce siècle, Rumford, réagissant contre cette opinion, mit en évidence des faits intéressans qui ne frappèrent point assez le public de son temps, et dont il nous est facile maintenant d’apprécier l’importance ; mais un peu plus tard les études relatives à la chaleur subirent une phase singulière. Sadi Carnot, officier du génie, fils du célèbre conventionnel, publia en 1824 ses Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance. Cette publication coïncidait avec les premiers développement donnés à l’usage des moteurs à vapeur. Elle fit alors une grande sensation, et son importance scientifique s’est prolongée jusqu’à ces dernières années. On va voir cependant que la doctrine de Sadi Carnot est diamétralement opposée à celle qui triomphe aujourd’hui. Sadi Carnot admettait, conformément aux idées répandues autour de lui, que le calorique est un corps matériel. Dès lors, disait-il, il est facile de comprendre que lorsqu’une certaine quantité de chaleur passe d’un corps chaud à un corps plus froid, ce transport produise par lui-même une certaine quantité de travail ; mais, une fois l’équilibre établi, la chaleur perdue par l’un des corps se retrouve tout entière dans l’autre, absolument comme l’eau qui a fait marcher une roue hydraulique se retrouve entièrement dans le bief d’aval. Dans les idées de Carnot, cette comparaison se poursuit jusqu’au bout. La chaleur est un fluide qui, en vertu d’une force spéciale, tend comme l’eau à prendre son niveau. La température devient ainsi une sorte de cote de nivellement propre au fluide calorifique. Le fluide descend d’un corps supérieur (en température) dans un corps inférieur, et produit ainsi de la puissance motrice. Il sera possible également, en dépensant de la