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dames qui doivent suivre la reine manquait, comme par exemple Mme de Villars, Mme de Pompadour aurait une place. La reine a consenti à cet adoucissement. » Un an plus tard, en 1747, cette même dame d’honneur de la reine qui en 1742 n’avait pas voulu suivre Mme de La Tournelle à Choisy recevait chez elle, à Dampierre, Mme de Pompadour. Il est des milieux dans lesquels les natures les plus élevées ne peuvent séjourner longtemps sans s’affaisser.

Que serait devenu le duc de Luynes si, au lieu d’avoir été condamné par le système politique de Louis XIV à se rétrécir, à s’assouplir, à s’annuler dans les antichambres de Versailles, il avait vécu dans un de ces pays libres où les classes supérieures ont conservé leur rôle naturel dans la société ? Avec son grand nom et sa grande fortune, avec son esprit naturellement exact et juste, avec son humeur grave, équitable et modérée, avec sa piété et son sentiment du devoir, il aurait été un personnage puissant et utile, il aurait exercé dans sa province une influence bienfaisante par ses exemples et son patronage, il aurait acquis dans les conseils de la nation ce genre d’autorité, si avantageux au pays, que donnent le désintéressement et la sagesse relevés par le prestige d’une grande clientèle. Il ne fut sous Louis XV que le mari d’une dame d’honneur, et grâce à ce qu’en avait fait la vie de cour, s’il avait été mis à l’épreuve de la révolution, il n’aurait su jouer d’autre rôle que celui de victime ou d’émigré.

Les institutions politiques ne font pas à elles seules les destinées des peuples, mais elles contribuent pour une large part à former leurs habitudes. Nous verrons l’un des plus frappans exemples de cette action des lois sur les caractères lorsque nous mettrons en regard les vicissitudes si diverses des mœurs françaises et des mœurs anglaises pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Nous n’avons encore fait connaissance qu’avec le ministre, l’avocat et le grand seigneur dont les mémoires nous introduisent au sein de la société gouvernée par Louis XV, et déjà nous savons que l’une des variétés les plus dangereuses du pouvoir arbitraire, c’est ce despotisme velouté qui abaisse d’autant mieux les âmes qu’il ne les révolte pas. « J’en reviens, dit d’Argenson dans son Essai de réfutation du livre de Sidney contre le gouvernement monarchique, à l’exposition naturelle de notre gouvernement présent ; le voici, si je ne me trompe : une tyrannie douce et honnête quant à l’extérieur, mais allant en réalité à l’injustice la plus violente, à la corruption la plus pernicieuse dans les mœurs des particuliers, ainsi qu’à l’appauvrissement de l’état. »


CORNELIS DE WITT.