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à qui La Fare venait de parler, et lui dit qu’absolument elle voulait savoir ce que La Fare lui avait dit. L’un et l’autre furent très embarrassés de la question. La Fare supplia Mme la duchesse de Bourgogne de vouloir bien lui permettre de ne pas satisfaire sa curiosité ; enfin elle lui dit si absolument qu’elle le voulait, qu’il fallut obéir. La Fare était un homme de plaisirs. « Je disais donc, madame, lui dit-il, que si vous étiez une fille de l’Opéra, j’y mettrais jusqu’à mon dernier sol. » Quelque temps après, Mme la duchesse de Bourgogne retrouva La Fare ; elle l’appela, et lui dit : « La Fare, j’entre à l’Opéra la semaine prochaine. »

Ce ne sont pas là les récits d’un chroniqueur inventif ou niais. Le duc de Luynes était scrupuleusement exact, et bien qu’il n’eût pas beaucoup d’esprit, il ne manquait en aucune façon de ce genre de sagacité et d’aptitude à démêler le vrai du faux que les hommes sensés et médiocres acquièrent à la cour. Il avait l’habitude et le goût de voir et de raconter les choses telles qu’elles étaient, sans illusion comme sans exagération. C’était un méticuleux amateur de renseignemens précis, de chronologie, de généalogie, de précédens. Passionnément épris des anciens usages et profondément affligé de les voir disparaître, il recueillait avec un soin religieux toutes les traditions de la vieille étiquette pour les empêcher de se perdre et pouvoir au besoin faire autorité en matière de cérémonial. Les marques de respect que l’on devait au roi et à la reine, les droits et le rang de chaque courtisan, et jusqu’aux attributions des divers domestiques du château, tel était le sujet favori de ses préoccupations. Être le continuateur de son grand-père, le marquis de Dangeau, il n’avait pas de plus haute ambition. De là le caractère de son journal, où les plus futiles incidens de la vie de cour tiennent parfois plus de place que les grands événemens qui se passent en dehors de la petite coterie de Versailles. Point de talent, point d’animation, point de saillies, point de vues originales, mais beaucoup de faits précieux pour l’histoire des mœurs au XVIIe et au XVIIIe siècle, enfouis sous une masse de détails ennuyeux et inutiles. Naturellement tempéré et systématiquement réservé, le duc de Luynes s’exprimait avec une modération sans saveur. Le déplaisir que lui causait le laisser-aller corrompu dont il était témoin ne prenait jamais la forme de la colère ou du mépris. Tout en lui était réglé, mesuré, convenable. Vertueux avec sagesse, digne avec prudence, toujours correct dans sa conduite comme dans son langage, cet honnête et fade grand seigneur méritait vraiment d’être appelé par le président Hénault « l’homme du monde le plus estimable. » C’était là son originalité au milieu de la cour où il vivait. Il était le contemporain de ce duc de Bourbon qui trouvait plaisant de mettre le feu à une de ses maîtresses, de ce comte de Charolais qui essayait