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elle ne doit plus viser qu’à une noble prépondérance en Europe, qui lui procure repos et dignité… J’ai bien étudié la politique, et j’ai trouvé que toute cette science se réduisait aux simples règles de la morale, même la plus étroite : « Ne faites à autrui que ce que vous voudriez qui fût fait à vous-même ; faites à autrui tout ce que vous voudriez être fait pour vous, rien de plus. Cette politique est excellente ; cela me semble démontré pour les grands états comme la France… Par là elle parviendrait à une grandeur et à une abondance dont il y a peu d’exemples dans le monde. »

Ce même homme qui, en parlant des devoirs internationaux, semblait animé du plus pur esprit du christianisme regardait la ferveur religieuse comme un fléau, le mariage comme un abus dont la mode devait passer, et le libertinage comme la plus aimable et la plus vénielle des fautes. Il trouvait bon qu’on eût une religion, mais à la condition d’y penser fort peu et d’en parler encore moins. Dans tout mouvement des esprits sur les questions de cet ordre, il ne voyait qu’une occasion de trouble pour les âmes et pour la société. Convaincu que les querelles théologiques « s’apaisaient mieux par le silence que par la persécution, » et que ce qu’il fallait à la France c’était « un tolérantisme destructeur de toute faction, » il se disait partisan de la liberté de conscience ; mais ce qu’il entendait par là, ce n’était pas autre chose que le droit de se taire sur ce que l’on croyait, et d’être puni si l’on ne se taisait pas. Ne nous hâtons pas trop de sourire. Il y a encore aujourd’hui beaucoup de partisans de la liberté de conscience à la façon de d’Argenson. Il y en a parmi les indifférens et parmi les croyans. Que ceux-ci ne se fassent pas illusion sur la portée du système de la pacification religieuse par le silence. Il ne supprime la lutte qu’en supprimant la vie. Il ne mène à rien moins qu’à éteindre la foi et à relâcher les freins qu’elle met à la licence des mœurs, et c’était ainsi que l’entendait d’Argenson. Il aimait à vivre sans gêne et sans souci, et il ne pouvait souffrir qu’on lui parlât de la mort et du péché. « Les dévots nous exhortent à la pensée de la mort ; rien n’est plus horrible. Rien n’est plus triste au monde que de penser qu’on finira. Rien ne mérite davantage que nous nous en distrayions… Que de péchés ne sont que peccadilles !… Faire un choix par tendresse, rester en d’aimables nœuds, si cela ne nuit à personne, si cela ne trompe pas, si même on aide ce qu’on aime, loin d’être un mal, est peut-être au-dessus d’une action indifférente… Les dévots ont toujours chez eux du taquin et de l’antihumanité, le triste joug des prêtres, de l’intrigue, de l’atrabilaire, du triste, et leur secte suppose nécessairement aujourd’hui de la petitesse d’esprit… Moi qui ai servi le roi avec passion, je dis que je préférerais vivre sous Néron plutôt que sous un prince dévot. » Il attachait cependant du prix à ce que le roi conservât de la