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des ramiers. C’était vers la fin d’avril. La chaleur était déjà forte, mais elle était tempérée par la fraîcheur des ombrages et de la mer, et on n’en sentait pas moins la puissance du soleil qui illuminait et réchauffait tout. Il me semble que cette matinée est d’hier, et pourtant je n’en connaîtrai plus de pareille !…

Il y avait dans la villa de mon père une galerie s’ouvrant sur le golfe, et dans chacune des arcades de marbre qui la soutenaient une statue. J’aimais une de ces statues comme une amie : c’était, je l’ai su depuis, une reproduction de cette Diane que je vous ai fait remarquer tantôt. Je passais souvent des heures à considérer ses formes si nobles, si pures, qui changeaient de ton et d’aspect suivant l’heure du jour et la hauteur du soleil. Le matin, elle était rose et fraîche comme une fleur au printemps ; vers midi, elle se détachait, puissante et radieuse, sur le plan vertical de la mer comme sur un fond de moire bleue, et je vois encore la chaude blancheur du marbre, ses ombres blondes et transparentes, et les tièdes reflets dans les plis profonds des draperies. Plus tard, les rayons dorés de la fin du jour semblaient l’animer et lui communiquer la vie. L’azur des flots assombris faisait saillir la merveilleuse silhouette de la déesse, et, transportée d’admiration, je m’écriais : Oh ! que tu es belle !… Elle était pour moi comme une sœur aînée, et j’aurais voulu lui ressembler ; mais, quand venait le crépuscule, tout s’effaçait dans l’ombre. La clarté, remontant peu à peu, n’éclairait plus que quelques nuages perdus au haut du ciel. Ma statue devenait blanche comme la neige avec des reflets gris et ternes ; elle prenait la pâleur de la mort, et dans la nuit ce n’était plus qu’un fantôme livide. La vie était partie avec la lumière. Alors j’avais peur, et je m’enfuyais.

Marina s’arrêta un moment ; quand elle reprit la parole, son regard fixe et brillant semblait animé d’un feu sibyllin, comme si ces grandes figures dont elle parlait eussent défilé devant elle, et que cette vue, en pénétrant son âme du sentiment de la beauté antique, eût ennobli ses idées et son langage.

— Depuis cette époque, j’ai toujours aimé les statues, non pas rangées à la suite sous les voûtes froides d’un musée comme des soldats qu’on passe en revue, mais dans les jardins, à l’ombre des platanes, aux abords des temples, près des eaux surtout et toujours sous le ciel. Leur blancheur virginale me représente la pureté des déesses, et leur noble sérénité me fait penser à l’existence heureuse des êtres immatériels. Quand je contemple leur beauté inaltérée aux rayons de ce même soleil qui les vit sortir splendides de leur bloc de Paros il y a deux mille ans, je songe à l’éternelle jeunesse des Olympiens. L’idée d’une vie indestructible s’empare de moi, et je