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la nature dans sa grandeur et le sentiment du temps qui fuit et nous emporte nous inspirent des idées plus hautes et plus mélancoliques.

— C’est vrai, reprit-elle après un moment de silence et avec cette emphase qui est un caractère traditionnel de la race romaine, et pourquoi cependant ? La sagesse d’autrefois ne valait-elle pas la nôtre ? Au lieu d’exhaler ma plainte vers ces astres insensibles qui poursuivent leur course muette sans m’entendre, ne ferais-je pas mieux de joindre ma voix à celle de nos amis ? Je ne puis. Leur gaîté me fait mal, et si je devais chanter avec eux, j’éclaterais en sanglots.

— Mais n’y a-t-il donc là personne à côté de qui vous désiriez vous asseoir et qui puisse vous tendre la main ?

— Non. Je les connais trop bien ; je sais ce que leur âme renferme de dévouement et ce que pèse pour eux la destinée d’une femme comme moi. J’ai vu ces joyeux amans de la beauté et du plaisir jurer à leurs amies une tendresse éternelle et oublier un an après jusqu’au nom de celles qu’ils devaient chérir toujours. Je les ai vus changer d’amour comme dans un festin on change de vin quand le palais se fatigue de la même saveur. J’aurais pu me laisser aller, moi aussi, à l’une de ces liaisons faciles que le caprice du jour lègue à l’oubli du lendemain ; mais je sais trop ce qu’elles apportent d’humiliations et ce qu’elles contiennent d’amertume. Y en a-t-il un seul qui eût confiance en moi ? Walther m’aime, je crois, d’une affection plus sérieuse ; mais que lui apporterais-je ? Ma misère et ma honte ! Et lui, qu’a-t-il à m’offrir ? Sa bonté, sa faiblesse et ses insultantes jalousies ! Jalousies du passé, du présent et de l’avenir ! Sans confiance réciproque point d’affection durable, et quelle confiance avoir en un modèle ? A cela point de remède. Poursuivre seule mon chemin, c’est encore ce qui me fera le moins souffrir.

— Si jamais l’on vous avait fait poser pour le personnage d’Ophélia, je voudrais vous dire, comme lui disait Hamlet : « Au couvent, au couvent ! » car vous n’êtes pas faite pour être à la merci du premier venu. Maintenant l’orgueil, l’estime de vous-même, vous aident à supporter le manque de respect de la part des autres ; mais, je le crains, vous ne résisterez pas toujours, et si vous tombez, vous serez bien à plaindre.

— Comment ! vous envoyez la fiancée de Corinthe dans un cloître ! Rappelez-vous donc la légende ; j’y mourrais bien vite. Ainsi je chéris ma liberté, et je devrais obéir toujours ! je veux vivre, et je devrais apprendre à mourir ! j’aime mon pays, et je ne devrais plus aimer que mon couvent ou le pape ! Non, jamais !

— Alors que la destinée s’accomplisse !

Pour un étudiant en vacances, j’avais montré déjà, pensais-je,