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Qui ne devine que le spécimen choisi pour donner une idée de l’architecture mauresque a été tiré de l’Alhambra ? Cette architecture elle-même est un rameau vagabond sorti du tronc de l’art byzantin, et peut à ce titre offrir quelques traits de famille avec l’architecture romaine. Nous voilà donc transportés vers le milieu du XIIIe siècle dans la fameuse Cour des Lions, au centre de laquelle s’élève une fontaine soutenue par les animaux qui lui ont donné leur nom. Autour du bassin de cette fontaine, des vers arabes célèbrent ainsi le mérite de l’artiste : « O toi qui contemples ces lions couchés, ne tremble point ! La vie leur manque pour les mettre à même de montrer leur furie ! » Dieu sait pourtant que les pauvres bêtes n’ont rien d’effrayant. Cette cour est fermée par une galerie couverte dont les colonnes et les arcades s’élancent avec toutes les grâces délicates de la fantaisie. Sur les colonnes est inscrite cette sentence : « Il n’y a de conquérant que Dieu. » L’œil ravi par la légèreté féerique des arabesques formées de fleurs et de dessins capricieux qui s’entrelacent comme dans un verset du Coran, par les vives et harmonieuses couleurs qui rehaussent avec de l’or cette dentelle de pierre, on entre dans la Salle de justice, décorée de trois curieuses peintures. De telles peintures représentant des cerfs dévorés par des lions ont lieu de nous étonner, car la religion mahométane défendait à l’art de reproduire les objets de la nature. Ne défend-elle pas aussi de marcher sur un morceau de papier, dans la crainte que le nom de Dieu n’y soit écrit ? Eh bien ! ce nom, comment se trouve-t-il inscrit à plusieurs reprises dans le pavé de la salle ? Ces diverses circonstances ont fait supposer qu’il existait de grandes différences entre les mahométans de l’est et ceux qui s’étaient établis dans les contrées occidentales ; la foi des derniers s’était sans doute fort relâchée dans le commerce avec les chrétiens. La Salle de justice donne entrée dans la Salle des Abencerrages. C’est ici surtout que l’imagination se trouve saisie par tous les rêves de la vie orientale. Le demi-jour qui descend du plafond obscurci et coloré par toutes les teintes du kaléidoscope, les pendentifs qui s’échappent des murs comme autant de stalactites de stuc, les riches mosaïques, tout dans cette salle respire en quelque sorte le mysticisme de la volupté. Au milieu de ces molles influences, il est aisé de s’identifier à la vie des sultans, à leurs amours romanesques, interrompues trop souvent par des crimes historiques, aux mœurs de la chevalerie arabe et castillane. La cour de l’Alhambra est certes une des parties du Crystal Palace qui laissent le moins à désirer : sur ces murs disposés à souhait pour l’enivrement des plaisirs sensuels, et plus d’une fois tachés de sang, on retrouve inscrite la légende de la domination mauresque.