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revêtent au plus haut degré le mouvement et l’expression : ils vivent, ils agissent, ils partagent, en les élevant, nos passions, nos joies et nos tristesses. Pascal, cherchant le trait distinctif de la grandeur de l’homme, croit le trouver dans ce que « l’homme est le seul être de la création qui se sente souffrir. » On pourrait dire de même que la statuaire grecque est la première où, comme dans le groupe de Niobé par exemple, éclate le sentiment de la douleur. Qu’on ne demande rien de semblable aux colossales figures égyptiennes, aussi insensibles que le granit où elles ont été taillées ! A mesure qu’il émancipe ses dieux, le peuple grec s’affranchit lui-même, car partout les institutions civiles et politiques se montrent calquées sur les idées religieuses. Au lieu de ces temples caverneux et de ces palais de l’Orient qui résumaient l’effrayant parasitisme d’une nation absorbée par un homme ou par une caste, nous trouvons en Grèce des places publiques où se réunissaient et se consultaient toutes les classes de la société.

On doit s’attendre à des changemens à vue : nous étions Grecs, nous voici Romains. Qui ne voudrait en effet pouvoir se dépouiller de sa personnalité au milieu de ces transformations successives, et devenir en quelque sorte le caméléon de l’histoire ? Cette fois nous nous promenons dans une partie extérieure du Colisée, devant un mur percé d’arches en forme de cintre et ornées de colonnes d’ordre dorien : c’est l’entrée de la cour romaine (roman court), à l’intérieur de laquelle s’ouvre un large appartement dont les murs ont été peints de manière à imiter le porphyre, la malachite et les marbres rares dont les Romains aimaient à décorer leurs palais. Ainsi qu’au sein de la cour grecque, le visiteur parcourt une suite de vestibules où il peut étudier les modèles de l’architecture et de la statuaire. À première vue et à ne consulter que le sentiment des arts, on serait tenté de croire que Rome imprime un pas en arrière dans la voie de la civilisation. Comparée à la Grèce, ne présente-t-elle point des traces de barbarie qui se prolongent jusque sous les délicatesses du siècle d’Auguste et jusque sous la corruption des césars ? On revient pourtant de cette impression quand on songe à quelques-unes de ses lois et de ses institutions politiques, quand on se souvient surtout qu’elle a fondé l’organisation de la cité, jetant ainsi jusque dans les Gaules le germe des libertés d’où devait sortir un jour l’affranchissement des communes. Peut-être ce côté de la grandeur romaine n’est-il point assez accusé au Crystal Palace. Le Colisée, avec sa sombre devise : panem et circenses, était-il bien l’édifice qu’il fallait choisir pour donner une idée de la valeur d’une puissante nation ? La race latine avait primitivement un caractère tranché et des dieux à elle ; mais, enchaînée plus tard à ses conquêtes, elle prit