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Je traversai des colonnades de différens styles et de différentes époques, depuis celles du temple de Philœ jusqu’à celles du temple de Karnac, et dont quelques-unes portaient au faîte la statue de la déesse égyptienne de l’Amour, aux oreilles de génisse, et appelée par les Égyptiens « la grande vache qui avait engendré le soleil. » Enfin je découvris dans un enfoncement le fameux temple d’Abou-Simbel[1]. Ici le charme se trouva rompu, car une inscription anglaise nous avertit que nous avons seulement devant les yeux une miniature de la façade du temple lui-même, creusé dans le flanc d’une ancienne carrière de pierres. Pour ressaisir l’illusion, il faut passer dans une autre salle, ou, si l’on veut, dans une autre cour. Là, au milieu d’une température élevée qui favorise la croissance des plantes tropicales, et au bout d’une avenue gardée par une double rangée de sphinx, s’élèvent deux stupéfiantes statues ayant chacune soixante-cinq pieds de haut[2]. Ce sont les colossales figures de Ramsès le Grand, assis dans une attitude de passive majesté qui indique bien un être supérieur et insensible au monde que nous habitons. D’autres statues beaucoup plus petites sont celles de sa mère, de sa femme et de sa fille. La taille exagérée des premières exprime donc surtout la grandeur de la condition sociale, la nation absorbée dans l’état et l’état personnifié dans un homme.

Qui ne voit d’ici l’intention des professeurs du Palais de Cristal en exhumant et en restaurant ces fossiles de l’histoire ? Ce qui sort d’un tel spectacle n’est point tout à fait de la science, mais ce sont du moins des impressions qui y conduisent. Sous le voile des symboles, on a essayé de reconstituer un des types de la civilisation primitive. Comme les Égyptiens ont surtout célébré leur passage sur la terre par des édifices énormes et mystérieux qui ont défié le temps, les hommes et le désert, c’est à leur architecture qu’il fallait s’adresser d’abord pour reproduire les grandeurs de ce qu’on est convenu d’appeler l’âge babélique de l’humanité. L’art, ainsi que tout l’ordre social, était d’ailleurs sorti de la religion, et de même que la plupart des théogonies anciennes, celle de l’Égypte s’appuyait sur une vaste conception du monde extérieur. Ce sont les lois

  1. Les ruines de cet immense édifice ont été découvertes en Nubie, il ya près d’un demi-siècle, dans les sables qui s’amassent, chassés par les vents du désert. Un Anglais, M. Hay, entreprit plus tard sur les lieux de grands travaux pour mettre à nu la base des statues et des anciennes murailles, du temple. On peut se faire une idée du caractère colossal de ces ruines en consultant les photographies qui se trouvent dans le Crystal Palace.
  2. Dans le temple d’Abou-Simbel, qui a servi de modèle à cette imitation, il y a quatre statues de même grandeur destinées à multiplier la personne royale.