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bientôt envahis par ces myriades de petits rongeurs qui fourmillent dans les forêts brésiliennes, et qui viendront percer les sacoches pendant que les urubus (vautours) dépèceront la mule.

Je me rappelle avoir été témoin d’une de ces descentes de caravane dans la Serra do mar, cordillère maritime qui sépare les eaux du Parahyba des côtes de l’Océan. Ce lieu est très fréquenté par les troupes de mules qui portent à la capitale les produits de l’intérieur. C’était après les grandes pluies de l’été. La route était indiquée sur les deux revers de la montagne par une suite non interrompue de débris de toute sorte, et notamment par une quantité si prodigieuse de fers à cheval qu’on aurait pu s’en servir pour remonter des régimens entiers de cavalerie ; de distance en distance, nous trouvions un bœuf abandonné sur place ou une carcasse de mule répandant une odeur insupportable et couverte d’urubus qui ne semblaient nullement s’inquiéter de notre approche, tant ils avaient conscience de l’utilité de leur fonction. Arrivé au sommet de la serra, je rencontrai un tropeiro qui paraissais fort triste et qui me conta ses infortunes. Il était parti avec une centaine de bœufs pour aller chercher quatre chaudières à sucre ; l’orage l’avait surpris en route, il n’avait pu gravir la montagne qu’en sacrifiant la moitié de ses bêtes, et il était obligé d’attendre que ses tocadores, qu’il avait envoyés en avant, lui en amenassent encore cinquante pour continuer son chemin. Ces détails permettent de deviner quelle effrayante consommation de bêtes de somme se fait annuellement dans les fazendas du Brésil. Aussi chaque ferme a-t-elle une pépinière de jeunes mules que des peones sont chargés de dresser. Ces animaux viennent ordinairement des provinces du sud.

Les cabocles, le troisième groupe des gens de couleur, sont peu nombreux dans les villes de la côte. Ils proviennent du mélange des deux races vaincues et proscrites, le nègre et l’Indien. On les rencontre surtout dans l’intérieur, à la limite des forêts, qui leur servent à la fois de refuge contre leurs persécuteurs et d’asile pour leur fainéantise. C’est ordinairement le père qui représente l’élément africain. L’Indien est trop fier de sa supériorité de peau-rouge pour s’approcher d’une négresse ; en revanche, les Indiennes quittent volontiers leurs maris cuivrés pour suivre les nègres. Les occupations des cabocles sont à peu près les mêmes que celles des Indiens demi-civilisés avec lesquels ils sont mêlés. Ils cueillent la salsepareille, le caoutchouc, la vanille, et fabriquent des poteries qui ne manquent pas d’une certaine élégance, bien qu’elles rappellent un peu trop celles des peuples primitifs. Les cabocles du Para ont même acquis un certain renom dans ce genre d’industrie. Ils obtiennent quelquefois des effets d’un grotesque inimitable avec leur