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les apadrinhar (obtenir leur pardon). Ces grâces-là ne se refusent jamais, quels que soient d’ailleurs les antécédens du solliciteur. Le fazendaire lui fait d’abord une morale proportionnée à la gravité de la faute, et, après l’avoir averti qu’il ne devra plus désormais s’adresser à lui, il finit par lui donner une lettre de présentation pour son maître. Muni de ce talisman, le coupable se présente sans crainte, car une demande de pardon, même émanant d’un inférieur, est chose sacrée pour le Brésilien. Malheureusement, comme il y a toujours moyen d’éluder une difficulté, il arrive souvent que le maître, après avoir pris lecture de la lettre, dit au noir : « Je te fais grâce, à la prière du senhor, des cent coups de chicote (fouet) que tu as si bien mérités ; mais, comme tu es un incorrigible, je ne te veux plus dans ma maison, et tu vas rejoindre tes camarades de la plantation. » C’est la punition la plus terrible pour un esclave, car la vie des champs a toutes les horreurs de la servitude, sans offrir aucune de ses compensations.

Les corrections peuvent se diviser en trois classes : les fautes légères sont expiées par quelques coups de palmatorium sur la paume de la main ; une douzaine de coups est le minimum. Ce genre de punition est surtout appliqué aux femmes et aux enfans. On se sert du chicote (fouet) pour les fautes graves et les hommes robustes. Le patient est solidement attaché à un poteau et entouré de ses camarades, qui assistent à l’exécution afin d’ajouter à la solennité du supplice et de recevoir eux-mêmes des impressions salutaires pour l’avenir. Un grand nègre ou mulâtre remplit les fonctions de bourreau. À chaque coup, il s’arrête pour reprendre haleine et laisser pousser au patient un cri aigu suivi d’un gémissement prolongé. On ne donne guère plus de cent coups à la fois ; si la punition est plus forte, on remet l’excédant au lendemain ou aux jours suivans. Quand le nombre de coups a été considérable et la main de l’exécuteur vigoureuse, on est obligé de porter le pauvre diable à l’infirmerie et d’y panser ses plaies.

Vient enfin le carcere duro pour les malfaiteurs émérites. C’est ordinairement une cellule (tronco) où le patient est immobile, ses pieds et ses mains étant solidement fixés à des poteaux. On n’abuse pas trop de cette punition, surtout pendant le jour, car il importe de ne pas empêcher le travail du noir. On l’enferme donc seulement la nuit, et on remplace la prison diurne par une ration de coups de chicote administrée le soir ou le matin, soit avant, soit après l’incarcération.

On n’a pas trop souvent recours, il faut le reconnaître, aux bons offices du tocador, surtout chez les petits propriétaires, qui peuvent à un moment donné être obligés de vendre leurs esclaves. La bastonnade laisse des stigmates aux épaules et aux reins, et c’est sur