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demeures et se mit en devoir de les renverser. Toute résistance était impossible, et d’ailleurs l’Indien perd tout courage devant une arme à feu. Ils prirent la fuite, et se décidèrent enfin à porter leurs pénates plus loin. Le plaisant de l’affaire, c’est que quelques jours après on présentait au fazendaire une note de 20 contos de reis (50,000 francs), qui devaient couvrir les frais du procès et de l’expédition. Il avait reçu 10 contos pour le prix de vente ; il lui restait donc à payer 25,000 francs pour avoir le droit de se dessaisir de sa propriété. Ceci n’est qu’un léger spécimen des agrémens de toute sorte qu’on rencontre à chaque pas dans Ce pays privilégié dès qu’il s’agit de résoudre le grand problème de la colonisação.

Ces expropriations d’Indiens sont une des suites naturelles de la conquête telle que la comprenaient les fidèles sujets de sa majesté le roi de Portugal, des Algarves et de l’Océan. Un voyageur français, M. Auguste de Saint-Hilaire, qui visitait la province de Rio-Janeiro en 1816, raconte qu’il trouva un jour à quelques lieues de la capitale une députation d’Indiens qui allait demander au roi dom João VI l’autorisation de conserver dans les vieilles forêts de leurs aïeux une lieue carrée de terrain où ils pussent bâtir un village et se mettre à l’abri de l’envahissement des colons. Cette tribu, qui appartenait aux Indios coroados (Indiens couronnés), dont on retrouve encore quelques débris sur le Haut-Parahyba, occupait alors presque toute la vallée du fleuve. Avant de se résoudre à affronter la majesté royale, ils étaient allés trouver le chef de la province, le baron d’Uba, et l’un d’eux lui avait tenu ce discours : « Cette terre est à nous, et ce sont les blancs qui l’occupent. Depuis la mort de notre gran capitão[1], on nous chasse de tous côtés, et nous n’avons pas même assez de place pour pouvoir reposer notre tête. Dites au roi que les blancs nous traitent comme des chiens, et priez-le de nous faire donner du terrain pour que nous puissions y bâtir un village. »

De toutes les tribus indiennes qui se sont rendues célèbres par leur résistance à l’envahissement des conquistadores, celle des Botocudos tient le premier rang, et a marqué de sanglantes pages les annales de la conquête. Il faut le dire à la honte des hommes de notre race, les fils du désert furent vaincus en férocité par les disciples du Christ. Ceux-ci, trouvant la poudre trop lente, empruntèrent à la nature le secours de l’un des plus cruels fléaux qu’elle ait déchaînés contre le genre humain : des étoffes destinées à propager la petite vérole étaient envoyées en présent aux sauvages, qui bientôt

  1. Ce grand capitaine, oncle du baron d’Uba, était un Portugais, José Rodrigues da Cruz, qui avait fondé une colonie d’Indiens sur les bords du Parahyba.