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d’une foule de petits avantages fort de leur goût, tels que vêtemens, couteaux, et surtout une nourriture moins précaire que ne l’offre la vie des bois. Tout allant pour le mieux au début, les missionnaires étaient émerveillés de la ferveur de leurs ouailles, et en auguraient bien pour l’avenir ; mais lorsque les provisions touchaient à leur fin et qu’on annonçait aux nouveaux convertis qu’il fallait planter du maïs et du manioc, sous peine de voir ; bientôt supprimer la ration, leur zèle de néophytes commençait à s’attiédir. Il arrivait enfin un moment où l’inertie des catéchumènes et l’impossibilité de fournir plus longtemps à leur entretien lassaient la patience des convertisseurs. Exaspérés d’avoir été joués par des peaux-rouges, les Portugais remplaçaient alors le padre par le feitor, et déclaraient les Indiens esclaves, pour les punir d’avoir été rebelles au christianisme. Ceux-ci ne s’inquiétaient pas trop de leur nouvel état, rassurés par la proximité de la forêt, où ils se réfugiaient à la première occasion ; mais ces premiers rapports avec les blancs avaient perverti leurs goûts et leurs habitudes : la vie des bois leur paraissait trop rude, et, comme les Hébreux du désert, ils regrettaient les viandes et les oignons de la fertile Égypte. Ils se mettaient donc en quête d’un nouveau baptême, et un jour on voyait arriver à une centaine de lieues de la province où elle avait résidé jusqu’alors une tribu indienne offrant de se convertir. On écrivait à l’évêque et au capitaine-général, qui, ravis de cette offre, envoyaient moines, vêtemens, outils et provisions, avec ordre d’évangéliser ces nouveau-venus et de fonder une colonie chrétienne. Inutile de dire que cette colonie finissait comme la première, après avoir passé par les mêmes phases, et qu’elle allait demander un troisième baptême plus loin.

Si la religion inquiète peu l’Indien, la politique ne l’émeut guère davantage. Chaque peuplade obéit à un capitao choisi parmi les moins déguenillés de la tribu. Que de fois un mulâtre fuyant l’esclavage ou désertant le service militaire a été proclamé capitão par une tribu indienne chez laquelle il s’était réfugié ! Ce choix s’explique : l’Indien a le sentiment de son infériorité, même devant la couleur foncée du mulâtre, qui d’ailleurs lui est presque toujours supérieur en force physique. Ajoutez à ce sentiment le prestige des habits et quelquefois des armes sur des gens presque entièrement nus et ne connaissant que la flèche, enfin le besoin d’avoir un chef qui connaisse la langue et les habitudes des blancs pour se faire entendre d’eux lorsque le hasard ou les besoins l’exigent.

Les efforts tentés jusqu’ici pour employer l’Indien du Brésil comme domestique ont été presque sans résultat. Plusieurs fazendaires qui en avaient pris à l’essai, et que j’ai interrogés sur leur compte,