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médaille. Curieux un jour de connaître le nom de la madone chargée de veiller aux destinées d’un affreux petit peau-rouge qui se démenait comme un diablotin dans un ruisseau que nous traversions, je priai mon guide, mi-nègre, mi-Indien, d’aller parlementer avec le drôle, afin qu’il me permît de l’approcher. L’affaire ne réussit pas sans difficulté, à cause surtout de mon costume étranger, qu’il voyait probablement pour la première fois. Je parvins cependant, grâce à mon compagnon, qui lui tenait les bras et la tête pour l’empêcher de mordre, à saisir la médaille, et quel fût mon étonnement lorsque je reconnus une pièce de monnaie française de 50 centimes à l’effigie de la république de 1848 !

Comme le nègre, l’Indien ne connaît guère de la religion que le baptême ; il y a toutefois entre eux une différence. Le nègre, qui est esclave, porte ses enfans au padre de la plantation avec une parfaite insouciance, ni plus ni moins que s’il portait une arrobe de café au marché. L’Indien au contraire aime à se faire tirer l’oreille ; il a pour principe de ne faire rien pour rien, et ne consent à recevoir l’ablution évangélique qu’après la promesse d’un verre de cachaça (eau-de-vie), d’un morceau d’indienne, ou de toute autre compensation matérielle. Il ferait même volontiers un excellent chrétien, si les missionnaires pouvaient puiser dans une cave qui ne tarît jamais. Apprend-il qu’on prêche dans les environs, il se met aussitôt en marche, va pieusement s’accroupir autour de celui qui apporte la bonne nouvelle, et attend avec impatience la fin du sermon pour demander sa part de douceurs. Les provisions épuisées, il reprend le chemin de sa hutte, jusqu’au jour où les fidèles de la propagation de la foi auront de nouveau rempli les caisses de leurs mandataires. Si jamais les missionnaires sont en mesure de faire précéder chaque exercice religieux d’une distribution d’eau-de-vie ou de foulards rouges, hommes et femmes se précipiteront en foule pour entendre « la parole de Dieu. » Il n’est pas rare, au dire des gens du pays, de rencontrer des Indiens faisant métier de leur conversion et se présentant devant chaque padre qui arrive pour demander une nouvelle ablution et percevoir la prime qui y est attachée. Dans les premiers temps de la conquête, lorsque l’étendue des déserts et l’absence des chemins rendaient toute communication impossible entre les diverses parties de l’empire, quelques tribus pratiquaient sur une grande échelle cette sorte d’escompte du baptême. Dès qu’un capitaine-général arrivait dans une province, il s’empressait, suivant son humeur, de donner la chasse aux peaux-rouges et d’en faire des esclaves, ou de les convertir pour fonder une colonie. Ceux-ci se laissaient volontiers approcher quand il ne s’agissait que d’être catéchisés, car ils savaient que l’Évangile était toujours accompagné