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Comme leurs ancêtres, les bravos vivent de fruits, de chasse et de pêche ; chaque tribu obéit à un chef dont il est difficile d’analyser l’autorité. Supérieurs en force physique aux autres indigènes américains, ils paraissent inférieurs en intelligence, car on n’a trouvé chez eux aucune tradition historique, aucun monument qui rappelât quelques traces de civilisation. Quant à leur religion, elle est sans doute la même que celle de leurs aïeux[1].

La transition entre les tribus sauvages et les populations civilisées des-côtes brésiliennes est marquée par les Indiens mansos. Ce sont eux qui cueillent le caoutchouc, l’ipécacuana, la vanille, la salsepareille, en un mot tous les produits qu’on ne trouve que dans les forêts lointaines. La récolte faite, ils s’avancent dans les cantonnemens des blancs pour la livrer et recevoir en échange des produits de l’industrie européenne, couteaux, indiennes, eau-de-vie, etc. Le reste de l’année est occupé à la chasse et surtout à la pêche, leur passion favorite. Nés dans un pays coupé de nombreuses rivières qui débordent chaque année au solstice et couvrent quelquefois des étendues immenses de forêts, ils acquièrent dès l’enfance une telle habitude de la natation que l’eau paraît être leur élément naturel ; on peut dire hardiment qu’ils sont les premiers nageurs du monde. J’ai vu plusieurs fois de petits Indiens, à peine sevrés, se précipiter dans l’eau et y folâtrer des journées entières, sans s’inquiéter des caïmans qui fourmillent dans les fleuves du Brésil. Les adultes sont à peine vêtus, et quant aux enfans, ils vont, comme les négrillons, entièrement nus. La plupart portent cependant un chapelet passé autour du cou. Ce chapelet, que les sorciers vendent et que les Indiens considèrent comme un puissant talisman contre les morsures de serpens, est ordinairement fait de petites graines rouges qui croissent en grande abondance dans les bois. Ceux qui fréquentent les Européens remplacent quelquefois ces chapelets par une

  1. Un Français que nos dernières agitations politiques avaient éloigné de son pays et conduit au Brésil avait observé avec une attention particulière ces tribus sauvages et recherché quelle était leur religion. « Parmi les cent tribus éparses entre l’embouchure de l’Amazone et le Rio-de-la-Plata (dit M. Ribeyrolles dans son ouvrage sur le Brésil), le plus grand nombre vivait sans dieux, et nul culte n’était pratiqué sous les voûtes éternellement vertes de la forêt vierge. Le grand temple n’avait d’autre encens que celui des fleurs. Les historiens de la conquête et ceux des missions prêtent cependant une mythologie très savante à l’une des tribus mères, à la race tupique. Ils disent que ces Indiens reconnaissaient un dieu, véritable Jéhovah, qu’ils appelaient Tupan (tonnerre). Comme dans toutes les théogonies légendaires, qu’elles viennent de l’Inde, de la Perse ou du Sinaï, ce dieu Tupan avait un contradicteur, un adversaire, un diable qu’ils appelaient Anhanga. Au-dessous des deux majestés du ciel venaient deux séries de génies, les bons et les méchans, et plus bas, comme simples interprètes ou sacrificateurs, étaient les prêtres, les devins, qui vendaient au peuple les secrets des dieux. »