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Atticus demeura vingt-trois ans loin de Rome, ne la visitant qu’à des intervalles très éloignés et n’y restant jamais, que peu de temps. Quand il pensa que, par sa longue absence, il s’était tout à fait dégagé des liens qui l’attachaient aux partis politiques, quand il eut conquis l’indépendance avec la fortune, quand il se fut assuré contre tous les reproches qu’on pouvait faire à sa conduite en prêtant à sa prudence l’apparence d’une conviction philosophique, il songea à retourner définitivement à Rome et à y reprendre sa vie interrompue. Il choisit pour revenir un moment où tout était calme, et, comme pour achever de rompre avec son passé, il revint avec un surnom nouveau, sous lequel on prit désormais l’habitude de le désigner. Ce nom d’Atticus, qu’il rapportait d’Athènes, semblait indiquer hautement qu’il ne voulait plus vivre que dans l’étude des lettres et les jouissances des arts.

À partir de ce moment, il partagea son temps entre le séjour de Rome et celui de ses maisons de campagne. Il acheva de liquider sans bruit ses affaires de banque, dont quelques-unes étaient encore en souffrance, et s’arrangea pour dérober au public les sources de sa richesse. Il ne conserva guère plus que ses terres d’Épire et ses maisons de Rome, qui lui rapportaient beaucoup et dont il pouvait avouer les profits. Sa fortune s’accroissait toujours, grâce à la façon dont il l’administrait. Il n’avait d’ailleurs aucun des défauts qui pouvaient la compromettre : il n’aimait pas à acheter ou à bâtir, il ne possédait point de ces splendides villas aux portes de Rome ou aux bords de la mer, dont l’entretien ruinait Cicéron. Il prêtait encore quelquefois de l’argent, mais, à ce qu’il semble, plutôt pour obliger que pour s’enrichir. Il avait soin du reste de choisir des personnes sûres, et il se montrait sans pitié le jour de l’échéance. C’était par intérêt pour elles, disait-il, qu’il agissait ainsi, car, en tolérant leur négligence, on les encourage à se ruiner. Quant à ceux avec lesquels son argent eût couru quelques risques, même ses plus proches parens, il ne se gênait pas pour les éconduire. Cicéron, en lui racontant un jour que leur neveu commun, le jeune Quintus, est venu le trouver et qu’il a essayé de l’émouvoir par le tableau de sa misère, ajoute : « J’ai pris alors quelque chose de votre éloquence ; je n’ai rien répondu. » Le moyen était bon, et Atticus a dû l’employer plus d’une fois à l’égard de son beau-frère et de son neveu, qui étaient toujours sans argent. Pour lui, il avait su se faire à peu de frais une grande existence. Il vivait dans sa maison du Quirinal, qui était plus spacieuse et plus commode à l’intérieur que belle d’apparence, et qu’il réparait le moins possible, parmi les objets d’art qu’il avait choisis en Grèce et les esclaves lettrés qu’il avait pris soin de former lui-même et que tout le monde lui enviait. Il réunissait souvent les gens d’esprit de Rome dans des repas où l’on