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par les barres frottantes était-il indéfini ou limité ? C’est à vérifier ce fait que Rumford s’attachait, et il trouvait que, tant que la barre tournait, la chaleur se dégageait indéfiniment. Il prouvait ensuite, par un examen minutieux, qu’on ne pouvait attribuer le dégagement de chaleur ni à la décomposition de l’eau, ni à la décomposition de l’air, ni à une foule d’autres phénomènes concomitans auxquels on aurait pu être tenté de l’attribuer. Montrant ainsi que cette chaleur sortait indéfiniment des barres frottantes, il en concluait, comme nous l’avons dit tout à l’heure, que le calorique ne peut pas être une matière, mais qu’il est un mouvement. Qui ne voit qu’il n’y avait qu’un pas à faire pour en tirer une conclusion plus intime, et pour dire, comme nous le disons maintenant, que cette chaleur indéfiniment dégagée par les barres de bronze n’était qu’une transformation du travail indéfiniment employé à produire le mouvement de rotation ? Il y a plus, l’expérience de Rumford se prêtait à une détermination numérique de l’équivalence des deux phénomènes : d’une part le travail employé à la rotation était facilement appréciable, et de l’autre les procédés calorimétriques pouvaient aisément faire connaître la quantité de chaleur absorbée par l’eau. Aussi plusieurs déterminations numériques du nombre fondamental de l’équivalence ont-elles été faites dans des essais analogues à celui de Rumford.

Par d’autres voies, Rumford approchait encore de la notion de l’équivalence de la chaleur et du travail. Faisant forer une pièce de canon à la fonderie royale de Munich, il constatait réchauffement de la masse de bronze. Et comme on essayait de rendre compte de cet échauffement en admettant une différence de capacité calorifique entre le bronze massif et le bronze en limaille, il se hâtait de mettre à néant cette fausse explication en mesurant directement la capacité calorifique du bronze dans les deux cas et en prouvant qu’elle ne variait point. Mais voici un autre fait bien curieux. Il expérimentait un canon de fusil dans lequel il introduisait toujours la même charge de poudre, et tantôt il n’y mettait pas de balle, tantôt il y plaçait une, deux, trois et même quatre balles les unes sur les autres. « J’étais dans l’habitude, dit-il, de saisir avec la main gauche le canon aussitôt après chaque décharge pour le tenir pendant que je l’essuyais en dedans avec une baguette garnie d’étoupes, et j’étais fort surpris de trouver que le canon était beaucoup plus échauffé par l’explosion d’une charge de poudre donnée quand il n’y avait point de balle devant la poudre que quand une ou plusieurs balles étaient chassées par la charge. » Quoi de plus saisissant que cette expérience dans laquelle une certaine quantité de chaleur disparaît en même temps qu’un travail est produit, et dans laquelle cette