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le lui fournit. Les épicuriens, sacrifiant tout à la commodité de la vie, disaient qu’il était bon de fuir les emplois publics pour éviter les tracas qu’ils attirent. « Ne pas s’occuper de politique » était leur maxime favorite. Atticus fit profession d’être épicurien : dès lors son abstention avait un prétexte plausible, la fidélité aux opinions de sa secte, et si on le blâmait, le blâme retombait sur toute l’école, ce qui rend toujours la part de chacun plus légère. En réalité, Atticus était-il un épicurien véritable et complet ? C’est une question que les savans discutent, et que le caractère du personnage permet facilement de résoudre. Ce serait le mal connaître que de supposer qu’en quoi que ce soit il s’attachât scrupuleusement à une école et s’engageât à en être un disciple fidèle. Il les avait toutes étudiées pour le plaisir que cette étude causait à son esprit curieux, mais il prétendait bien ne pas s’asservir à leurs systèmes. Il avait trouvé dans la morale épicurienne un principe qui lui convenait, et il s’en était emparé pour justifier sa conduite politique. Quant à Épicure lui-même et à sa doctrine, il s’en souciait fort peu, et il était prêt à l’abandonner au premier prétexte. C’est ce que montre très agréablement Cicéron dans un passage du Traité des Lois. Il s’est représenté dans cet ouvrage causant avec Atticus, aux bords du Fibrène, sous les ombrages enchantés d’Arpinum. Comme il veut faire remonter jusqu’aux dieux l’origine des lois, il lui faut établir d’abord que les dieux s’occupent des hommes, ce que niaient les épicuriens. Il s’adresse alors à son ami, et lui dit : « M’accordez-vous, Pomponius, que la puissance des dieux immortels, leur raison, leur sagesse, ou, si vous aimez mieux, leur providence, régit l’univers ? Si vous ne l’admettez pas, il faudra commencer par le démontrer. — Allons, répond Atticus, je l’accorde, si vous le voulez, car, grâce à ces oiseaux qui chantent et au murmure de ces ruisseaux, je n’ai pas peur qu’aucun de mes condisciples m’entende. » Voilà un philosophe fort accommodant, et l’école ne tirera pas grand profit d’un adepte qui l’abandonne dès qu’il est sûr qu’on ne le saura pas. On retrouve bien là le caractère d’Atticus. Embrasser résolument une opinion, c’est s’engager à la défendre, c’est s’exposer à combattre pour elle. Or les querelles philosophiques, bien qu’elles ne soient pas sanglantes, ne sont pas moins acharnées que les autres ; c’est de la guerre encore, et Atticus, en toutes choses, veut la paix, au moins pour lui. Il est piquant d’examiner le rôle que Cicéron lui donne dans les dialogues philosophiques où il l’introduit. En général il ne discute pas, il provoque à discuter. Curieux et insatiable, il demande, il interroge toujours ; il excite à répondre, il soulève les objections, il anime les combattans, et pendant ce temps il jouit tranquillement du combat, sans y entrer jamais. On verra tout à l’heure que c’était justement là son rôle en politique.