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à l’esprit polonais, c’est ce qui est arrivé au XVIIe siècle pour les Cosaques d’au-delà du Dnieper. Comme ils s’étaient désaffectionnés, ils ne se trouvaient plus dans les conditions normales de cette nationalité, et ils ont cessé d’en faire partie. S’il n’avait tenu compte instinctivement de cette loi constituante, il est permis de croire que le grand Sobieski, malgré son désir de combattre les Turcs, n’aurait pas, au faîte de la puissance et sans y être contraint, ratifié en 1686 les trêves d’Andruzsow. Le libérateur de Vienne a dû se dire en lui-même que les Cosaques étaient libres de se séparer comme ils l’avaient été de s’unir, et qu’il n’avait pas le droit de les retenir de force. Du reste, la Pologne s’est inspirée de cet esprit si profondément libéral dans sa conduite envers la Silésie et envers la Prusse : elle les a laissées libres de se séparer d’elle quand elles n’ont plus voulu faire cause commune.

En résumé, — et c’est la conclusion qui nous paraît ressortir d’un examen attentif des ouvrages récemment consacrés aux origines de la Pologne et de la Russie, — il n’est pas exact de dire que les Russes aient repris légitimement aux Polonais en 1772 des provinces que ceux-ci auraient conquises autrefois sur la Russie et possédées injustement ou temporairement. La vérité est que la Pologne n’avait rien pris à la Russie, qu’elle n’a rien acquis par la force, et qu’elle a au contraire possédé légitimement pendant plus de quatre siècles ces anciennes provinces, qui, avant 1772, n’avaient jamais fait partie de l’empire des tsars. Un point reste donc bien acquis à l’histoire politique de l’Europe : c’est que l’état de possession de la Pologne en 1772 était le plus légitime et le plus favorable qu’on puisse imaginer. Nous n’avons voulu rien prouver de plus. La situation douloureuse qui se prolonge depuis cette époque est née le jour où l’on est sorti du droit ; elle ne cessera que lorsqu’on y sera rentré.

V. de Mars.