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et le noble polonais. Tous les deux prenaient part au même titre et dans la même proportion à la vie politique, au libre règlement des affaires du palatinat, comme à la discussion des grands intérêts de l’état. Dans les vallées du Dniester et du Dnieper comme sur les bords de la Vistule, la liberté individuelle était non-seulement garantie par les lois, mais scrupuleusement respectée dans la pratique. Cela n’explique-t-il pas pourquoi la Lithuanie et la Ruthénie sont entrées au XIVe siècle dans la communion morale et intellectuelle de l’Occident, et pourquoi elles y sont restées ? En un mot, la Pologne n’a rien gardé pour elle seule : elle a tout partagé avec la Lithuanie et avec la Ruthénie. On peut dire sans exagération, et dans le sens le plus élevé, le plus mystique même, que la Pologne s’est donnée elle-même ; l’on peut ajouter qu’elle n’y a rien perdu et qu’elle y a beaucoup gagné.

C’est en effet de ses anciennes provinces qu’est venue pour la Pologne l’esprit régénérateur en politique et en littérature après le long engourdissement du règne des princes saxons et la prostration qui a suivi les partages. Il semble que la Lithuanie et la Ruthénie aient voulu alors rendre à la Pologne en patriotisme et en poésie les bienfaits qu’elles en avaient reçus depuis l’union. Tout le monde se rappelle les efforts des patriotes de ces pays, dont Kosciusko est la figure la plus éclatante et la plus pure. Presque tous les écrivains qui ont donné une vie nouvelle à la littérature polonaise sont Lithuaniens ou Ruthéniens, comme Adam Miçkiewicz, Zaleski, Slowazki, Malczewski, Goszczynski, etc. Les poèmes de Zaleski ne sont pas seulement, on ne saurait trop le redire, des monumens impérissables dans la littérature polonaise, mais ce sont des productions essentiellement et avant tout ukrainiennes. C’est Zaleski, c’est Malczewski, l’auteur de Maria, c’est Goszczynski dans le Château de Kaniow, qui ont trouvé et exprimer la poésie propre à l’Ukraine, non pas seulement la poésie de toutes les classes de la société, mais la poésie du territoire, de la nature ukrainienne. L’on ne citera pas un écrivain russe qui ait trouvé de tels accens pour poétiser et animer cette terre slave, d’un aspect saisissant, et qui est restée indéfinissable jusqu’au moment où les poètes de la Ruthénie polonaise en ont trouvé et consacré l’expression. Il y a eu un tel échange et une telle communauté de vie morale entre la Pologne et les anciennes provinces, qu’il est impossible de reconnaître aujourd’hui si c’est la Pologne proprement dite, ou la Lithuanie, ou la Ruthénie qui a le plus apporté à la patrie commune.

Aussi l’on devra constater sans le moindre étonnement que les meilleurs Polonais de la Pologne sont presque tous originaires de la Lithuanie ou de la Ruthénie. Les Radziwill, les Sapieha, les Paç,