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de la Galicie, dit cet écrivain, ne sont ni historiques ni géographiques… Si c’était un devoir pour l’Autriche de profiter de la faiblesse de la Pologne, actuellement n’en est-ce pas un pour la Russie d’en agir de même vis-à-vis d’une obligée ingrate et d’une alliée infidèle ? » Or, en combinant les vues historiques des écrivains russes avec les deux nouveaux devoirs à introduire dans la morale publique, le devoir de la vengeance et le devoir de profiter de la faiblesse de ses voisins, l’on arrive par une voie très peu chrétienne, mais très logique, à conclure que la Russie n’a jamais pris part aux partages, et qu’elle est obligée de soustraire à la domination des Allemands le reste de la Pologne, non pas, comme on pourrait le croire, pour l’affranchir, mais pour se l’approprier. Les aperçus historiques que nous avons présentés, en citant le plus souvent les écrivains russes, nous permettent heureusement de trouver ailleurs les élémens d’une réponse à la question qui fait l’objet de ce travail.

Si le droit de conquête, quand il réunit certaines conditions, peut devenir la source d’une acquisition légale, la possession qui résulte de l’accession volontaire constitue un titre peut-être plus solide, mais assurément plus légitime et, comme on dit dans le langage du droit, plus favorable. Or que résulte-t-il de tous les faits qu’on vient de passer en revue ? La partie de la Ruthénie polonaise qui n’avait pas fait partie de la Lithuanie s’est réunie volontairement à la Pologne en 1340, c’est-à-dire il y a cinq cent vingt-trois ans. La Lithuanie, avec ses annexes, s’est réunie elle-même à la Pologne en 1386, c’est-à-dire il y a quatre cent soixante-dix-sept ans. Quel est l’état de l’Europe qui peut offrir des titres aussi respectables et aussi anciens ? Ce n’est assurément pas la Russie.

Quant à la nature de la possession, elle présente vraiment les meilleurs caractères pour constituer la légitimité. L’on a vu d’abord qu’elle est plusieurs fois séculaire. Elle remonte par conséquent à une époque où la Moscovie, encore sous le joug des Tartares, n’avait rien conquis sur la Ruthénie. En second lieu, cette possession a été formellement reconnue à l’extérieur ; nous rappellerons seulement les reconnaissances russes déjà citées de 1509, de 1634 et de 1764. Enfin, à l’intérieur, non-seulement cette possession n’était pas contestée, mais elle a été acceptée avec enthousiasme, et la force seule a pu la faire cesser. L’union entre la Pologne et la Ruthénie présente ce caractère particulier qu’elle a servi successivement à la régénération des deux pays. La Ruthénie, on le sait maintenant, avait voulu s’unir à la Pologne parce qu’elle s’y sentait attirée par l’action d’une vie morale bien supérieure. Elle n’a pas été trompée dans son espoir. Aucun lien de sujétion, aucune infériorité morale ne marquait de différence entre le boyard ruthénien