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prince Oginski, avec Kosciusko et avec le prince Adam Czartoryski. Oginski avait envoyé à l’empereur un projet d’oukase dont le premier article portait la réunion, sous une même administration séparée, des gouvernemens de Grodno, Wilna, Minsk, Witebsk, Mohilew, Kiev, de Podolie et de Wolhynie, avec une adresse d’adhésion de la noblesse de Wilna. « Je vous envoie, répondit Alexandre le 8 décembre 1811, une réponse à la lettre que vous m’avez écrite au nom de la noblesse de Wilna. Au lieu de la signer en français, j’ai pensé qu’elle serait plus à sa place si elle était écrite en polonais. Je vous prie donc de vous donner la peine de la traduire et me l’envoyer tout de suite pour que je la signe. » Oginski ayant adressé alors à l’empereur un programme de réunion des anciennes provinces au grand-duché de Varsovie et à la Galicie, Alexandre Ier répondit le 15 décembre 1815 : « Le rétablissement de la Pologne tel que vous me le proposez n’est nullement contraire aux intérêts de la Russie. Ce n’est point une aliénation des provinces conquises. J’y trouve au contraire une barrière puissante pour l’empire, en attachant aux intérêts de la Russie des millions d’habitans qui ne peuvent encore oublier leur existence indépendante. » Ne résulte-t-il pas de ces lettres que le fils de Catherine II pensait, comme sa mère et comme nous, que les anciennes provinces sont polonaises, que la Russie les a réellement conquises, et qu’elles étaient indépendantes quand elles faisaient partie de la Pologne, tandis qu’elles avaient cessé de l’être en 1795 ?

Dans une lettre adressée à l’empereur, le célèbre Kosciusko lui demande de se proclamer roi de Pologne, et il promet à cette condition de rejoindre ses concitoyens pour servir sa patrie. Alexandre Ier lui répond de Paris, le 3 mars 1814 : « Vos vœux les plus chers seront accomplis. Avec l’aide du Tout-Puissant, j’espère réaliser la régénération de la brave et respectable nation à laquelle vous appartenez. » La Revue a tout récemment fait connaître la correspondance plus complète du même souverain avec le prince Adam Czartoryski[1], et nous ne pouvons que nous référer à l’étude dont ces remarquables confidences ont été l’objet. Alexandre Ier promettait au prince Adam, comme à Oginski, comme à Kosciusko, le rétablissement de sa patrie en échange du concours de ses compatriotes contre Napoléon Ier. Or la patrie des Oginski, des Czartoryski, de Kosciusko, c’est la Lithuanie ou la Ruthénie, et non pas le royaume, que la Russie, il ne faut pas l’oublier, n’a pas possédé avant 1815, et qu’elle ne pouvait par conséquent pas offrir en 1811, en 1812, en 1813 et en 1814.

  1. Voyez la livraison du 15 mai dernier.