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III

L’invasion tartare a préparé la grandeur de la Moscovie : il nous faut parler maintenant de l’expansion lithuanienne, qui a été le prélude de la grandeur de la Pologne. Les bords de la Baltique étaient habités, depuis une époque inconnue, par une race d’origine indœuropéenne, différente du monde slave, mais complètement étrangère au monde finnois. Cette race est connue sous les noms de race lette, lettoune ou lithuanienne. Jusqu’au commencement du XIIIe siècle, les Lithuaniens avaient lutté sans beaucoup de succès contre deux ordres de chevalerie allemande qui s’étaient établis dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Prusse orientale et la Livonie ; mais les chevaliers teutoniques et les porte-glaives avaient bien vite oublié leur mission religieuse. Selon l’énergique et très juste expression de Miçkiewicz, les ordres chevaleresques étaient devenus des ordres soldatesques. Ces Allemands avaient même été condamnés par l’église parce que, négligeant absolument de convertir les païens qu’ils avaient soumis, ils ne s’occupaient qu’à s’agrandir aux dépens des Polonais et des Ruthéniens. Ils donnèrent plus tard la mesure de leur moralité politique et religieuse lorsque, sous le grand-maître Albert de Brandebourg, ils se firent protestans, non par conviction, mais pour séculariser à leur profit un état qui ne leur appartenait pas, étant bien d’église. Telle fut l’origine de la Prusse, qui resta vassale de la Pologne jusqu’en 1667.

Toujours est-il qu’au XIIIe siècle les Lithuaniens, ayant réagi contre ces rapaces voisins, qui n’avaient de religieux que le nom, s’élancèrent, encore païens, à la conquête de la Ruthénie. Ce mouvement commença en 1235. Les Lithuaniens prirent successivement Vitebsk, Smolensk, Tchernigov, la Volhynie, la Crimée, de sorte que vers 1319, sous le règne de Gedimin, le grand-duché de Lithuanie s’étendait sans interruption de la Mer-Baltique à la Mer-Noire. Il avait absorbé toute la Ruthénie, à l’exception des républiques du nord et du duché de Halitch, à qui il n’avait pris que la Volhynie. Les Lithuaniens étaient si peu nombreux que l’on ne pourrait se rendre compte de cette brillante et rapide expansion, si l’on ne savait que les Ruthéniens s’unirent à leurs envahisseurs pour échapper au joug des Tartares.

Ainsi, au commencement du XIVe siècle, les contrées dont nous nous occupons étaient partagées entre cinq dominations : à l’ouest, le royaume de Pologne ; au sud, le duché plus ou moins indépendant de Halitch ; au nord-est, la Moscovie, encore sous le joug direct de la horde tartare. Enfin entre la Pologne, le duché de Halitch et la