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chef-lieu de tant de villes et de duchés, respectée par tous les princes qui s’en étaient successivement emparés, devint enfin la proie de l’avidité et de la haine profonde d’André Bogoloubski. Ce fils indigne de la Ruthénie, après avoir conquis en 1169, non sans une grande effusion de sang, la sainte cité, la livra pendant trois jours au pillage et à la licence de ses bandes indisciplinées[1]. » Les églises et les monastères furent dévastés. Tout fut enlevé, jusqu’aux images, aux livres, aux habits des prêtres et aux ornemens d’église.

Le même sort menaça la puissante Novogorod. L’historien russe Karamsine fait ressortir pour quelle raison la résistance y fut plus vigoureuse. « Les Kioviens, dit-il, accoutumés depuis longtemps à changer de maîtres, à sacrifier les vaincus aux vainqueurs, n’avaient combattu que pour l’honneur de leurs princes tandis que les Novogorodiens allaient verser leur sang pour la défense de leurs droits et des institutions établies par leurs ancêtres. Ils jurèrent tous de mourir pour la liberté. L’archevêque Jean, accompagné de tout le clergé, prit l’image de la sainte Vierge et la porta sur les fortifications extérieures. Aux cris des combattans se mêlait le chant oies hymnes. Le peuple priait en versant des larmes et s’écriait : Seigneur, ayez pitié de nous. Les Novogorodiens remportèrent la plus brillante victoire, et comme ils attribuaient leurs succès à une intercession miraculeuse, ils instituèrent en l’honneur de la sainte Vierge une fête qui dut être célébrée solennellement tous les ans le 27 novembre. Les vainqueurs passèrent au fil de l’épée une foule de soldats et firent tant de prisonniers que, selon la chronique de Novogorod, on donnait dix Souzdaliens pour un grivna (petite pièce de monnaie). »

La politique des princes de la contrée finnoise modifiait complètement l’ancien droit public de l’Europe orientale, où auparavant les princes se battaient et se dépossédaient sans que la population des villes y prît une part fort active et eût beaucoup à en souffrir. L’église voulut résister à ces innovations, mais elle s’y brisa. Lorsque les princes rencontraient une résistance quelconque chez les évêques, ils les accusaient d’hérésie et les chassaient. Il est important de noter que c’est à cette époque que firent leur première apparition ces sectes religieuses qui ont encore aujourd’hui une si grande importance en Russie. Ce fut, comme l’autocratie, un produit de l’esprit finnois. Bien que la Ruthénie fût tout entière de rite grec et en grande partie séparée de Rome, les sectes dont il s’agit n’ont pas réussi à prendre racine sur ce sol slave. Ainsi il est bien positif que, même avant l’invasion des Tartares, il s’était formé au nord-est du monde slave une unité nouvelle dans des conditions religieuses, politiques

  1. Lelewel, t. Ier, p. 76.