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1328. Elle a conservé un caractère semi-asiatique qui frappe profondément le voyageur européen, si préparé qu’il se croie à une semblable impression. Aucun de ceux qui, du haut de l’une des collines environnantes, ont vu resplendir tout à coup la riche et populeuse cité, avec ses mille dômes aux formes étranges et aux couleurs variées, n’oubliera le sentiment d’admiration, d’étonnement dont il a été saisi à ce spectacle inattendu. Il n’a rien sous les yeux qui ressemble à l’Europe : il se sent transporté entre la Chine et Byzance par une sorte d’hallucination qui n’est cependant qu’une vue exacte de la réalité, et qui, par cela même, ne manque ni de charme ni de grandeur.

À partir du règne de George Dolgorouki, les princes de la région finnoise manifestèrent une hostilité systématique et acharnée contre la Ruthénie, et principalement contre les villes dont les habitudes libérales leur étaient devenues antipathiques. Ils n’eurent plus d’autre idée que de fonder un état à part, de créer une unité nouvelle, selon l’expression de Karamsine et du prince Troubetzkoï, et de subjuguer la Ruthénie. C’est ainsi que les Normands de l’Occident, après s’être établis en Angleterre, essayèrent de conquérir la France, d’où ils étaient venus. En 1169, André Bogoloubski, fils de Dolgorouki, à la tête d’une bande nombreuse de Souzdaliens et de Rostoviens, vint mettre le siége devant Kiev. L’historien de la Ruthénie, Lelewel, trace en quelques lignes un tableau animé de cette cité, qui joue un si grand rôle dans l’histoire et dans l’imagination des Slaves. « Quelle ville slave, dit-il, pouvait alors se comparer à Kiev ? Cette magnifique cité comptait depuis longtemps quatre cents églises. Bâtie sur une hauteur, elle descendait, par une pente douce, jusqu’au bord du Dnieper et s’étendait au loin le long de ce fleuve. C’est dans ce faubourg qu’étaient établis les riches magasins des marchandises que l’on faisait venir par terre et par eau ; mais ce qu’il y avait de plus remarquable se trouvait dans la haute ville, où, sans compter les monastères et une multitude de chapelles, on voyait les églises de Saint-Michel-Archange, de Saint-Basile, de la Naissance de la Sainte-Vierge et, plus magnifique que toutes les autres, l’église métropolitaine de Sainte-Sophie, qui renfermait le tombeau de Yaroslav le Grand. Tout ce que l’art byzantin put imaginer de plus beau servit à orner ces édifices. Dans la plus haute partie de la ville, en forme de forteresse, s’élevait le Petchersk avec ses catacombes, où se trouvaient des centaines de corps parfaitement conservés. Le pieux pèlerin visitait avec un respect religieux ces antiques monumens, et jamais une main sacrilège n’avait osé toucher aux riches trésors qu’ils renfermaient. Cette magnifique cité, placée au cœur de la Ruthénie, comptant cent cinquante mille habitans,