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et cherchent à justifier les tendances. Il n’est pas de savant dont les œuvres ne servent à rallier un parti. Il n’est pas de poète vraiment populaire dont les accens ne s’inspirent de quelque sentiment national. Tous les livres ont un côté politique ou diplomatique. Un travail littéraire est un acte de patriotisme ou de foi religieuse. Une œuvre d’érudition est un argument pour la revendication d’une province. La science peut y perdre en élévation et surtout en sincérité ; mais elle y gagne ce qu’elle rencontre bien rarement en Occident, l’attention passionnée d’une nation tout entière, quelquefois de toute une racé. La poésie y trouve aussi une cause réelle et vivante d’inspiration qui lui manque souvent ailleurs.

Cette disposition n’est pas nouvelle. Ainsi au commencement du XVIIIe siècle, bien avant le partage de la Pologne, et alors que les hommes d’état de l’Occident ne se doutaient même pas de l’imminence de cette catastrophe, le point de vue ethnographique et historique que nous voudrions mettre en lumière n’était pas négligé en Russie, et l’on préludait par des controverses archéologiques aux tentatives de la diplomatie et de la guerre. Un Allemand nommé Müller, historiographe officiel de l’impératrice Elisabeth, écrivait en 1749 un essai sur l’origine de la nation et du nom des Russes. Cet essai ayant été trouvé contraire aux vues politiques de la cour, l’auteur dut comparaître devant une commission spéciale ; son écrit fut condamné à la destruction, et Müller finit par reconnaître lui-même qu’il avait eu tort. Deux écrivains russes furent successivement mis en jugement pour avoir soutenu la même opinion. Enfin, la thèse de Müller ayant été reprise en Allemagne, Catherine II exprima en sept articles son opinion sur le débat, et finalement la question de l’origine des Russes fut tranchée, selon l’expression de Mirabeau, « en vertu d’une définition déclaratoire de leur souveraine. » À la même époque, des savans qui cherchaient leurs inspirations à Saint-Pétersbourg entreprenaient de retrouver l’origine des Hongrois, en vue de rattacher éventuellement cette population aux destinées de l’empire russe.

Les diverses questions historiques qui se rattachent à l’origine des populations et des états des rives du Dnieper et du Volga ont été reprises depuis quelques années avec toutes les ressources nouvelles de la science, et avec d’autant plus de passion que des deux côtés l’on pressentait clairement que la discussion ne tarderait pas cette fois encore à entrer dans le domaine des faits. Le cours professé au Collège de France par M. Adam Miçkiewicz de 1840 à 1845 peut donner une idée et un spécimen assez exacts de ce mouvement si intéressant des Slaves dans le domaine de la littérature politique. La question spéciale des anciennes provinces polonaises a été traitée par Lelewel, l’auteur très érudit d’une Histoire de la