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jugée a compromis des efforts très réels, et qui, mieux dirigés, eussent pu produire de tout autres résultats. Le manque de proportion, tel est le défaut capital de cet essai d’histoire anecdotique, où il y a de tout, même de l’esprit et du bon sens.

Chose singulière, sous un titre beaucoup trop général (car nous n’avons ici que l’histoire de deux ou trois cents femmes qui formaient au XVIIIe siècle ce qu’on nommait la bonne société), on a cru bien sincèrement nous donner une apologie de la femme à cette époque. « L’étude, à première vue, nous dit-on, discerne dans le XVIIIe siècle ce caractère général, constant, essentiel, cette loi suprême d’une société qui en est le couronnement, la physionomie et le secret : l’âme de ce temps, le centre de ce monde, le point d’où tout rayonne, le sommet d’où tout descend, l’image sur laquelle tout se modèle, c’est la femme. La femme au XVIIIe siècle est le principe qui gouverne, la raison qui dirige, la voix qui commande. Elle est la cause universelle et fatale, l’origine des événemens, la source des choses. Point de catastrophes, point de scandales, point de grands coups qui ne viennent d’elle dans ce siècle qu’elle remplit de prodiges, d’étonnemens et d’aventures, dans cette histoire où elle met les surprises du roman. » J’ai à peine besoin de dire que je ne partage nullement cette opinion sur le rôle qu’aurait joué la femme au XVIIIe siècle ; mais il est permis de s’étonner que ce soit en insistant sur toutes les fadaises et les frivolités de ce temps qu’on prétende motiver de si exorbitantes prétentions. Ce livre, écrit en l’honneur du XVIIIe siècle, lui fait injure. De ces femmes, vous nous montrez les légèretés, les grâces, les attraits, et, tout en leur donnant une importance et une puissance qu’elles n’eurent jamais, vous méconnaissez leur grandeur et leur beauté. Si j’avais le moindre droit à les défendre, si je ne craignais peut-être un peu d’être désavoué en montrant trop de zèle pour leur cause, je demanderais pour elles moins d’adoration et plus de justice, de discrétion et de respect. Les femmes du XVIIIe siècle ont besoin que l’on mette en lumière des qualités qu’elles avaient et qu’elles ne montraient guère, plutôt que de recevoir des louanges pour des vertus qu’elles ne possédaient point. Elles ne sont que trop affichées ; leur réputation est faite. On sait où trouver leurs indiscrétions sur elles-mêmes. Pénitentes d’un nouveau genre, elles se sont calomniées par effronterie, comme d’autres l’ont fait par humilité.

Nous ne songeons pas à contester l’importance du rôle qu’ont joué les femmes au XVIIIe siècle, mais nous reprochons à MM. de Goncourt d’avoir tellement dénaturé et faussé ce rôle, que si le portrait qu’ils ont tracé était fidèle, il faudrait leur refuser non-seulement la prépondérance qu’on leur attribue, mais encore l’action très considérable, très légitime, et à bien des égards très heureuse, qu’elles ont exercée sur leur temps. Je crains qu’en écrivant ce livre MM. de Goncourt n’aient beaucoup trop cédé au goût bien connu de notre époque pour les commérages littéraires, pour les anecdotes