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ESSAIS ET NOTICES

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Du Caractère des Femmes au siècle dernier[1]


La littérature joue parfois de mauvais tours à l’histoire. Qu’un siècle nous laisse à profusion des correspondances intimes, des mémoires secrets, des libelles, des détails de toute sorte sur ses habitudes, ses mœurs, ses costumes, des renseignemens sur les futilités de la vie de tous les jours ; qu’un curieux ou un érudit, négligeant les grandes lignes, s’ingénie à rassembler et à combiner ces traits extérieurs d’une époque : il en fera une image exacte à première vue, et dont l’ensemble sera cependant faux et trompeur. C’est à cet imparfait résultat, c’est à cette ressemblance incomplète que sont arrivés deux jeunes écrivains dans le portrait minutieusement étudié de la femme au XVIIIe siècle qu’ils viennent de publier. MM.  de Goncourt connaissent sans doute mieux que personne les moindres particularités de cette époque brillante et troublée qui commence à la mort de Louis XIV, qui se termine à la révolution. Ils s’y sont cantonnés, ils l’ont étudiée avec passion ; mais ils me paraissent l’avoir comprise comme on ferait d’une pièce de théâtre dont on verrait les costumes et les décors, dont on n’entendrait pas les paroles. Les futilités de ce siècle, à tout prendre le plus sérieux de notre histoire, ne doivent pas voiler son caractère, et le libertinage élégant, l’esprit, les grâces mignardes, ne donnent à coup sûr qu’une idée très insuffisante d’un temps qui a fait de grandes choses et qui en a préparé d’immortelles.

Si le but avoué du livre était de nous initier aux modes, aux costumes, aux usages, même aux particularités des mœurs du XVIIIe siècle, nous ne songerions pas à relever les mille riens dont est surchargé ce volume. L’histoire anecdotique ne manque ni d’intérêt ni d’agrément. Les patientes et minutieuses restitutions du passé excitent en nous un sentiment de curiosité qui n’a rien de coupable assurément. MM.  de Goncourt nous expliquent dans leurs détails les plus minimes la forme, la couleur des voitures et des meubles, l’étoffe des habits, la coupe des livrées, les heures et le menu des repas, le cosmétique à la mode, le marchand en renom, la bonne faiseuse, la manière de saluer, de s’éventer, de s’asseoir, le ton de la voix, le geste. Ils savent toutes les variétés de mouches et de rouge, toutes les espèces de coiffures, le nom des petits chiens de ces dames, et bien autre chose encore, tout le bric-à-brac du temps, tout l’extérieur de la vie. L’être humain disparaît sous cet amoncellement de choses, sous ces puérilités réalistes, et ce n’est pas la première fois qu’une méthode qui paraît cependant

  1. La Femme au dix-huitième siècle, par MM.  Goncourt ; 1 vol. in-8o, Paris, 1863