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quelque nouveauté intéressante, qui serait ou la restauration de l’Armide de Gluck, ou bien l’appropriation, par un travail nouveau, de la Flûte enchantée de Mozart. Ce serait, dans tous les cas, le sujet d’un grand spectacle. En attendant, l’Opéra vient de remonter un des plus charmans ballets de son répertoire : on a donné en effet le 8 mai Giselle avec une nouvelle ballerine qui nous vient de Russie, Mlle Mouravief, Cette jolie légende de Giselle fut créée en 1841, pour les débuts de Carlotta Grisi, de si gracieuse mémoire. La musique est d’Adolphe Adam, et jamais ce compositeur aimable, qui avait une si grande facilité dans ce genre tout particulier du ballet, n’a été plus heureusement inspiré. Il y a du sentiment et de la poésie dans les airs et dans les rhythmes de Giselle. Mlle Mouravief ne fera pas oublier Carlotta Grisi ; mais elle a du talent, de l’audace et de la physionomie ; elle est mince, peu grande et d’une taille qui n’est pas, croyons-nous, d’une entière régularité. Mlle Mouravief a eu du succès surtout par ces exercices tant admirés des connaisseurs et qu’on appelle les pointes. En effet, elle en use beaucoup de ces artifices, et avec une audace, une vigueur de jarret qui lui ont valu de nombreux applaudissemens. Le public l’a adoptée, et Mlle Mouravief aura désormais sa place dans l’empyrée de l’Opéra de Paris. Le ballet de Giselle offre un très joli spectacle. On y a ajouté deux nouveaux décors qui sont d’un très bel effet, surtout celui du second acte. Giselle avec le Comte Ory, qu’on va reprendre bientôt, formera une représentation Intéressante entre la Muette et Guillaume Tell.

Passons en terminant de la musique dramatique à la musique de concert. Il est arrivé récemment à Paris un grand artiste, un violoniste admirable, M. Jean Becker, de Manheim, dont nous avons déjà cité le nom dans la Revue il y a quelques années. M. Becker, qui n’a pas trente ans, a beaucoup voyagé depuis ; il a beaucoup étudié et beaucoup appris, et il est devenu un virtuose de premier ordre. M. Becker exécute sur son violon et d’une manière admirable la musique de tous les maîtres, de toutes les époques et de tous les genres. Dans les trois concerts qu’il a donnés à la salle de M. Herz, il a joué de la musique de Sébastien Bach, la chaconne de Spohr, quelques pages des maîtres de l’école française, tels que Leclair, Gaviniès, Viotti, Rodde, et un charmant morceau de M. de Bériot, et dans ces formes si diverses le virtuose a fait preuve d’une rare aptitude à s’assimiler le style particulier de chaque compositeur. M. Becker joint la bravoure d’un virtuose éminent à l’imagination d’un poète, la science d’un archéologue à la vivacité d’un improvisateur, semble-t-il, tant son exécution est vive, spontanée et d’une inaltérable justesse. Le succès de M. Becker a été éclatant, unanime, et on peut considérer cet artiste maintenant comme l’un des premiers violonistes de l’Europe.


P. SCUDO.