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jouer leur rôle de circonstance avec trop de naturel. Le caractère de Petit-Pierre est charmant. La musique de ce petit opéra est le péché mignon de M. Léo Delibes, qui a déjà commis Maître Griffard aux Bouffes-Parisiens. Il est inutile de dire tout d’abord que M. Delibes procède d’Adolphe Adam, qui a été son maître, et dont il suit les traces avec une docilité rare. L’ouverture, d’abord fort bien dessinée dans son petit cadre, et dont le dernier mouvement est vif et facile, annonce bien le caractère guilleret de la partition. Les couplets que chante ensuite Petit-Pierre par la voix aigre de Mlle Faivre sont aussi très bien réussis dans le genre du vaudeville babillard. Quant au quatuor qui vient après, c’est un bredouillement syllabique dont la forme est trop connue pour que nous en fassions nos complimens à M. Delibes ; d’ailleurs il termine son morceau par cette insupportable cadence à la tierce supérieure qu’on entend partout. Je ne dirai pas grand’chose ni du duo entre Petit-Pierre et Tiennette, ni même de la chanson de Petit-Pierre : « quand le père Mathurin, » qu’on a fait répéter à Mlle Faivre, sans doute pour la récompenser de ses vertus, car la voix de cette cantatrice zélée est absolument impossible ; on dirait une crécelle.

Voilà les deux petites merveilles qu’a produites le Théâtre-Lyrique depuis son coup de maître, Peines d’amour. Ajoutons-y la reprise d’Oberon de Weber, qui a eu lieu le 9 mai avec le concours de Mme Ugalde, sortie des Bouffes-Parisiens pour jouer le rôle si gracieux et si charmant de Rezia. Eh bien ! cette femme étonnante, dont l’organe n’a plus que quelques notes frémissantes, c’est elle encore qui chante le mieux la musique idéale et touchante de Weber ! Elle a déclamé le bel air du second acte avec un sentiment profond qui a ému toute la salle. À tout prendre, l’exécution d’Oberon est satisfaisante ; et l’orchestre surtout ne mérite que des éloges. À la bonne heure ! c’est ainsi qu’il faut toucher aux chefs-d’œuvre des maîtres, et si M. Carvalho a l’heureuse pensée qu’on lui prête d’évoquer sur son théâtre la Flûte enchantée de Mozart, qu’il se garde bien de renouveler le crime de Peines d’amour.

Le Théâtre-Italien a clos sa triste campagne. Les dernières représentations qu’il a données ont été sans intérêt, et M. Tamberlick lui-même n’a eu que des lueurs dans Poliuto et dans Otello, où Mme Frezzolini, dans le rôle de Desdémone, a été d’une faiblesse déplorable. J’engage fort Mme Frezzolini, qui a été une des plus admirables cantatrices dramatiques de notre temps, à se retirer d’une carrière où elle ne peut plus qu’affliger ses admirateurs. Mlle Volpini, qu’on a déjà entendue à Paris, a fait une courte apparition dans quelques rôles laissés vacans par le départ de Mlle Battu. M. Debassini, un baryton qui jouit d’une assez grande réputation en Italie, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, où il est resté pendant plusieurs années, a chanté à une représentation à bénéfice le rôle d’Alfonso de Lucrezia Borgia et celui de don Juan. L’impression produite par M. Debassini n’a pas justifié la réputation qu’on a faite à cet artiste. Et maintenant quel sera le