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de ce mot, et a mérité d’être dénoncé et flétri à ce titre par tout ce qu’il y a eu en Europe de plus décidément conservateur, depuis Burke jusqu’à M. de Montalembert. L’empereur Nicolas a gouverné la Pologne révolutionnairement, c’est-à-dire au mépris des engagemens, des contrats et des lois ; Enfin l’acte même qui a donné le signal des troubles auxquels nous assistons, l’enlèvement opéré nuitamment de deux mille jeunes gens incorporés à l’armée russe, est une mesure révolutionnaire de la pire espèce, une mesure qui violait les lois positives de la Pologne et de la Russie, et qui outrageait les sentimens de justice dont est animée la civilisation européenne. Que le prince Gortchakof soit donc sobre d’invectives à l’endroit de la révolution. Il serait difficile qu’un esprit aussi délié ne vît point aussi clairement que nous ce qui fait, aux yeux de l’Europe, la position radicalement fausse de la Russie vis-à-vis de la Pologne. La Russie a conquis la Pologne à plusieurs reprises, mais jamais elle n’a pu digérer et s’assimiler sa conquête. C’est cette irrémédiable impuissance qui éclate aujourd’hui devant le monde. « Tout le fruit d’une victoire, écrivait Guicciardini, consiste dans le bon usage qu’on en sait faire, » et il ajoutait avec l’énergie d’expression familière aux mâles esprits du XVIe siècle : « C’est une plus grande infamie de ne pas savoir bien user de sa victoire que de n’avoir pas su vaincre, e il non far questo è tanto maggiore infamia che il non vincere. » La Russie n’a jamais su bien user de ses victoires sur la Pologne : c’est pourquoi elle ne la possède pas plus aujourd’hui qu’il y a cent ans ; c’est pourquoi, à l’heure qu’il est, elle a moralement perdu dans la conscience de l’Europe la domination de la Pologne.

Le problème de la destinée de la Pologne approche visiblement d’une crise qui doit inquiéter là diplomatie. La Russie se dessaisira-t-elle réellement de ses prétentions absolues, et remettra-t-elle sincèrement au concert européen le soin d’imaginer une solution de la question polonaise ? Mais d’abord il s’agit de constituer ce concert. Les actes de la diplomatie se déroulent parfois avec la régularité de la tragédie classique. Nous avons fini l’exposition du drame, il faut maintenant que l’action s’engage. Ce second acte s’appelle en diplomatie la réunion d’une conférence : ce ne sera peut-être pas une petite affaire que de réunir une conférence, et cela demandera du temps ; mais la conférence, c’est une formalité ; il faudrait avoir préparé d’avance le plan qu’on en veut faire sortir ; il faudrait avoir combiné des alliances pour assurer au besoin l’exécution de ce plan : tâche difficile. Quant à nous, convaincus qu’il serait funeste et particulièrement messéant à la France d’abandonner la question polonaise sans avoir rien fait que compromettre un malheureux peuple par de stériles manifestations de sympathie en l’exposant aux cruautés d’une répression impitoyable, nous faisons des vœux pour que la France, l’Angleterre et l’Autriche, oubliant de mutuelles défiances, contractent entre elles un solide accord, et rétablissent la Pologne dans une situation naturelle et durable.

D’heureuses nouvelles nous arrivent enfin du Mexique. Puebla est pris et