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danger d’une trop nombreuse réunion politique, chaque assemblée partielle, au moment où elle inaugurait sa période de gouvernement semestriel, dut choisir dans son sein ce que nous appellerions une commission, composée de quatre-vingts membres, i ottanti, chargés de conférer avec la seigneurie, de recevoir d’elle la proposition des lois et de les présenter au grand conseil, c’est-à-dire à celle des trois assemblées partielles en fonction. Quant à la seigneurie, ce n’était rien moins en réalité que l’ancien pouvoir exécutif qui subsistait dans les mêmes conditions que par le passé ; son action devait seulement se trouver restreinte désormais par les institutions nouvelles. Elle continuait à être présidée par le gonfalonier de justice, magistrat suprême, nommé par élection, et dont le pouvoir, d’abord temporaire, devint à vie après la mort de Savonarole, qui avait recommandé ce changement.

La première mesure du grand conseil une fois constitué fut de sanctionner la paix universelle proclamée par le réformateur. Toutefois ce n’était pas assez pour Savonarole : l’amnistie effaçait le passé, elle n’assurait pas l’apaisement de l’avenir. En vue de cette dernière œuvre, il eut recours à une autre institution : il imagina une nouvelle forme d’appel. Souvent, au milieu des effervescences de la guerre civile et dans tout l’essor des vengeances réciproques, des citoyens avaient été conduits sur-le-champ devant la seigneurie ou devant le tribunal des huit, et on les avait vus interrogés, condamnés, exécutés quelquefois le même jour, dans l’espace d’une heure, sous la pression de l’aveugle multitude ou sous la terreur imposée par quelques nobles confédérés. D’illustres victimes avaient péri de la sorte. Ce fut pour rendre désormais impossibles de tels excès que Savonarole fit adopter une loi aux termes de laquelle tout habitant de Florence (cittadino) condamné pour crime d’état par la seigneurie ou par quelque autre tribunal, soit à la mort, soit à une peine corporelle, à un emprisonnement, ou à une amende de plus de 200 florins, ou bien à la peine de l’admonition, entraînant la perte des droits politiques, pouvait, pendant un délai de quinze jours, interjeter appel devant le grand conseil lui-même. Il voulut même que cet appel ne fût déféré qu’à la commission des quatre-vingts et non pas à l’assemblée des mille ; la première proposition qu’il en fit rencontra une vive résistance de la part de beaucoup d’hommes puissans à qui ce nouvel ordre enlevait une arme terrible ; toutefois, après plusieurs jours de discussions ardentes, elle passa, « car, dit encore Guichardin, tout ce qui venait du frère avait une force plus qu’humaine. » Savonarole avait par là ménagé aux passions le temps de se calmer et créé un contre-poids à l’excès de l’aristocratie ou de la démocratie.

L’abolition des assemblées à parlement couronna son œuvre constitutive