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pour Savonarole un extrême péril qui entraîna sa chute. Ses ennemis abusèrent de ses involontaires méprises ; l’arme redoutable de la scolastique fut retournée contre lui, et en dépit de sa foi ardente, en dépit de son généreux dévouement, il porta cruellement la peine de ce manque de fermeté d’esprit auquel il dût de ne pas dominer la confusion des doctrines de son temps et d’offrir par certaines contradictions mille ouvertures à ses ennemis. Ceux-ci purent de la sorte le conduire sans défense jusqu’au martyre, qu’il avait prévu.


II

Le rôle politique de Savonarole, mieux contenu dans la sphère des idées nécessairement pratiques, montre plus de cohésion et plus d’unité, avec une plus grande originalité de conception individuelle. Il est certain d’abord que s’il mit la main à une œuvre politique, ce fut malgré lui et comme par un nouveau devoir de charité ; le patriote ne se sépara pas en lui du missionnaire religieux. Après la chute des Médicis, Florence était tombée dans une profonde anarchie. La longue domination qu’elle avait subie avait étouffé ou empêché de naître les énergies politiques. Il ne se rencontrait pas un seul homme capable de prendre en main les affaires, les principaux partisans du gouvernement déchu ayant fui le ressentiment public, et les adversaires de ce gouvernement n’ayant sauvé leur vie qu’en oubliant toute activité réelle. Ce fut plus tard, à l’école de la liberté, que se forma la grande école florentine à laquelle appartiennent Guichardin, Machiavel, et ce Donato Giannotti, ardent patriote et publiciste profond, injustement effacé à nos yeux par l’éclat de ses deux illustres contemporains. Seul Savonarole exerçait, au moment de la révolution, sur tout le peuple de Florence, une influence incontestée. Tous les bons citoyens avaient donc les yeux tournés vers lui et n’espéraient qu’en lui. Devait-il reculer, au risque de ramener avec les Médicis de cruelles proscriptions dans la république ? Il attendit plusieurs jours, exhortant les principaux de la ville à se réunir et à proclamer quelques mesures de gouvernement arrêtées en commun ; nul, pas même du côté des ambitieux où des gens de désordre, ne répondit. Il y avait autre chose que la stupeur d’un état nouveau ; il y avait décidément le triste triomphe d’un énervement universel contre lequel réagissaient seules les mauvaises passions des temps d’anarchie, la vengeance et la convoitise menaçantes.

Le 12 décembre 1494, Savonarole aborda franchement en chaire la question du gouvernement. « O mon peuple, dit-il, tu sais que je n’ai jamais voulu entrer dans les affaires de l’état ; crois-tu que