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du paganisme renaissant était venue ensuite le dévouer à la vie du cloître. Le 24 avril 1475, il se présentait au couvent de Saint-Dominique, à Bologne, pour y prendre l’habit ; il avait alors vingt-trois ans. Quelque temps après, en 1482, il était envoyé à Florence, dans cette maison de Saint-Marc sur laquelle il devait répandre un si grand éclat. C’était déjà une demeure privilégiée. Côme l’ancien l’avait fait construire par le célèbre architecte Michelozzo Michelozzi et l’avait dotée d’une belle collection de manuscrits précieux, en attendant les peintures de fra Angelico da Fiesole ; mais la plus grande gloire de la sainte maison aux yeux de Savonarole était le souvenir de son fondateur religieux, san Antonino, justement vénéré dans Florence pour d’innombrables institutions de charité, dont une fort célèbre, celle des buoni uomini, subsiste encore de nos jours.

Laurent de Médicis était à l’apogée de sa puissance ; tous ses ennemis étaient morts prisonniers ou languissaient dans l’exil. Au milieu d’une paix profonde, les Florentins ne songeaient qu’à des fêtes et paraissaient avoir oublié jusqu’au nom de la liberté. La situation intellectuelle et morale de ce peuple offrait le singulier contraste d’un paganisme croissant en présence d’une insatiable curiosité d’esprit et d’un incomparable amour des arts. La tyrannie des Médicis ayant détruit toute activité politique, le grand commerce et l’industrie, jadis si prospères à Florence, étaient tombés dans le néant. Toutes les forces vives de la nation semblaient s’être réduites dans une soif immodérée des jouissances intellectuelles et matérielles indifféremment confondues. Le vice et la débauche se déployaient à l’aise, l’intrigue et le meurtre dominaient ; toute foi religieuse et philosophique semblait être morte : le doute raisonné eût été lui-même trop fatigant pour les âmes ; on leur avait préparé une bizarre doctrine qui prétendait concilier toutes les croyances en imaginant un olympe où les divinités du paganisme, remises en honneur par les études classiques, admettaient Jésus-Christ comme un nouvel hôte dans leurs rangs. Suivant Marsile Ficin, la principale autorité philosophique de ce temps, Platon lui-même avait annoncé que sa doctrine durerait jusqu’à la venue de celui qui ouvrirait les fontaines de toute vérité ; les dieux avaient déclaré le Christ excellemment pieux et religieux, et comme eux immortel, « rendant ainsi témoignage de lui avec beaucoup de bienveillance. » A côté de cette indifférence et de cet oubli du christianisme, le zèle était incroyable à recueillir les manuscrits ou les statues antiques ; on discutait avec passion les questions grammaticales, philologiques ou érudites ; au mépris de mille difficultés, on entreprenait des voyages en Orient à la recherche des objets d’art, des livres latins ou grecs, et c’était fête publique à Florence ou à Venise lorsqu’un