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d’une épouse ou d’un fils, le cœur ne restera muet : il sollicitera l’esprit, le tourmentera jusqu’à ce qu’il ait obtenu quelque réponse. Cette réponse ne satisfera pas tout le monde, elle satisfera à peine celui qui se la fera à lui-même ; mais c’est déjà une œuvre de vertu et de joie pour une âme que de s’attacher à de si grands problèmes : c’est mériter l’immortalité que de la chercher. Qu’une raison froide et desséchante ne vienne donc pas interdire à l’esprit humain, accablé par les misères d’ici-bas, la recherche et, si vous voulez, le rêve d’une vie meilleure.

Le livre de M. Charles Lambert, qui commence par une exposition élégante, noble et précise des plus beaux résultats de la science moderne, se termine par un épisode émouvant, raconté avec une parfaite simplicité, et qui arrache les larmes. L’auteur nous raconte que celui de ses amis qui lui a exposé le système dont il n’est que l’interprète y a été conduit par un de ces événemens qui renversent une existence, et qui dans les temps de grande foi précipitaient les âmes au pied des autels et au fond des cloîtres. Attaché par le plus tendre amour à une femme pleine de sens et de vertu, vivant avec elle et deux enfans, loin des intérêts grossiers et agités des grandes villes, dans les douces et nobles occupations de la campagne, il vit cette femme, frêle créature, s’affaiblir doucement et lentement à côté de lui sans qu’il soupçonnât la gravité du mal et l’imminence du péril. Un jour tout lui fut révélé ; il devina qu’il lui fallait perdre l’amie de sa jeunesse, la providence de ses jeunes enfans, l’espoir d’une douce vieillesse partagée par une fidèle amitié. Elle mourut. Le désespoir le rendit presque fou, et pendant quelque temps la vie lui fut comme impossible. Enfin du sein même de cet amour désolé sortirent l’espoir et le courage. L’âme affaissée se releva, se demandant si cette séparation déchirante était une séparation définitive, si cet objet qu’elle avait tant aimé n’était qu’un rêve, qu’une ombre, qu’une fleur aussitôt séchée qu’éclose. Obéissant à l’esprit de notre siècle, cet ami dont M. Charles Lambert nous raconte l’histoire eut le courage de demander la solution de ce doute à sa raison, à sa raison seule (faible lumière, mais que fera celui qui n’en a pas d’autre ?) Ne ménageant ni le temps ni l’effort, il étudia toutes les sciences, même les plus éloignées en apparence de son objet, pour se satisfaire sur ce grand problème et pour apaiser les révoltes d’un cœur désespéré, et c’est ainsi qu’il arriva à cette conviction qu’une âme généreuse ne peut pas périr, et que celui qui a perdu un ami vertueux n’a d’autre moyen de le revoir que d’être vertueux à son tour. Telle est la doctrine que nous avons exposée. Faibles garanties de certitude pour une doctrine, diront les esprits critiques, que les pressantes sollicitations du regret, du désir, de l’espoir et de l’amour ! — Heureux supplémens, dirons-nous, d’une raison vacillante, d’une pensée impuissante, qui serait sans cesse découragée par les obscurités mêmes du problème, si les douleurs et les crises inévitables de l’existence humaine ne lui faisaient une nécessité et comme un devoir de le sonder !


PAUL JANET.