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corps, peuvent lui survivre sans contradiction. Selon lui, il y a dans l’homme deux forces rivales et contraires : la force animale, qui lui est commune Avec les autres animaux, et la force morale, qui lui est propre. La force animale l’attache à son corps, elle est le principe de sa conservation, elle le lie à lui-même, le concentre en lui-même : c’est l’égoïsme. La force morale au contraire l’arrache à lui-même, c’est-à-dire à son corps ; par la force morale, c’est-à-dire par le cœur, il devient capable de sacrifice, de dévouement, d’oubli de soi. On peut représenter ces deux principes par ces deux mots empruntés à la langue théologique : la chair et l’esprit. Et l’opposition qui est entre elles deux est parfaitement représentée par ces paroles de l’apôtre saint Paul : « la loi qui est dans mes membres combat la loi qui est dans mon esprit. » Suivant M. Charles Lambert, qui en cela n’est que conforme à la tradition spiritualiste, le libre arbitre consiste à choisir entre la force animale et la force morale, à faire prédominer l’une ou l’autre. Or que fait l’homme qui sacrifie la force animale à la force morale, l’égoïsme et l’intérêt de conservation au dévouement ? Que fait-il ? Il est évident qu’il dégage son âme de l’empire de la matière, qu’il la rend, sinon tout à fait indépendante du corps, au moins beaucoup plus indépendante du corps que ne l’est la force animale. En un mot, suivant l’expression énergique de M. Charles Lambert, l’être qui choisit ainsi la vie de sacrifice et d’amour de préférence à la vie égoïste, celui-là crée en lui-même une individualité immatérielle, et c’est cela seul qui mérite le nom d’âme, car on ne doit pas appeler de ce nom sublime une force qui s’asservit aux organes comme la force animale. Eh bien ! une fois cette force morale produite et développée en l’homme par le libre arbitre, elle tend à se conserver en vertu de cette loi mécanique que « l’effet d’une force se perpétue tant qu’il n’est pas détruit par une force contraire. »

J’approuve ici complètement la méthode employée par l’auteur : que peut-il subsister de l’homme après la mort ? Voilà la vraie question, et pour la résoudre il faut chercher ce qui dans l’homme est dépendant ou indépendant des organes. Si l’analyse de l’âme humaine ne nous révélait absolument rien qui fût indépendant des organes, il faudrait conclure que toutes les fonctions de l’âme, à moins de miracle, cessent avec les fonctions du corps. Si au contraire nous trouvons dans l’âme des parties qui, liées accidentellement avec les fonctions organiques, peuvent cependant en être conçues séparées, l’immortalité est possible. Or il me semble que c’est bien là la méthode suivie par M. Lambert, et elle me paraît la vraie. Seulement il reste à savoir s’il n’y a d’immortel en nous que ce que nous y créons par la volonté, ou si l’âme ne serait pas immortelle par son essence.

Si l’on admet que le vrai titre à l’immortalité c’est d’avoir dès à présent conquis l’indépendance à l’égard du corps et de la matière, si l’on admet que la personne humaine, pour subsister, doit déjà s’être affranchie et