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écoles. Quelle différence y a-t-il entre ce principe et celui de M. Charles Lambert ? Je ne puis l’apercevoir.

Serait-ce la forme mathématique qui donnerait à cette preuve le degré de précision qu’elle n’a pas d’ordinaire ? J’en doute fort. En général, tous les philosophes qui ont essayé de prouver mathématiquement des vérités métaphysiques ont échoué. On sait combien Voltaire s’est moqué de la prétention de Maupertuis de prouver Dieu par a plus b, divisé par z. À la vérité, Voltaire n’est pas un philosophe profond ; mais il a bien du bon sens, et en tout il saisit admirablement le défaut de la cuirasse : je ne voudrais pas voir M. Charles Lambert aux prises avec un esprit de cette trempe. J’accorde d’ailleurs qu’il ne faut pas traiter légèrement les choses sérieuses. Eh bien ! est-il sérieux, est-il philosophique de comparer l’âme à ce qu’on appelle en mécanique une force ? M. Charles Lambert, qui est versé dans les sciences, sait très bien que, pour les mathématiciens, le mot de force ne représente autre chose qu’une inconnue, une cause hypothétique, et même un pur signe qui ne sert qu’à grouper les phénomènes, à les représenter, et dont on peut faire abstraction dans le calcul ; mais les mathématiciens se gardent bien de donner à ce mot aucune signification ontologique et métaphysique. Et c’est à une telle inconnue, à une telle abstraction, que vous comparez l’âme humaine, et vous croyez par là lui donner plus de réalité, plus de solidité, plus de chances d’immortalité. C’est aller, selon moi, tout au rebours de la vérité et de la méthode philosophique. Quand je perçois en moi-même, par le sens intime, cette force active, individuelle, pensante, consciente, que j’appelle mon âme, je crois bien qu’elle est quelque chose de réel, de distinct de la matière, et par conséquent qu’elle est susceptible de lui survivre ; mais si je viens à l’assimiler aux forces physiques et mécaniques, à ces forces inconnues et universelles qui animent la nature, qui passent d’un corps à un autre, qui se transforment dans leurs effets, et par exemple m’apparaissent tantôt comme causes de chaleur, tantôt comme causes de mouvement, ces forces enfin que je ne connais que par les phénomènes qu’elles produisent, et que la science réduit chaque jour davantage, bien loin de trouver dans cette comparaison un point d’appui pour le spiritualisme, je tombe dans une telle confusion, dans une telle obscurité, que le mot d’âme perd à mes yeux toute signification précise : il ne signifie plus, comme la chaleur, comme l’électricité, comme l’attraction, que la cause inconnue, indéterminée, de certains phénomènes particuliers. Qui me dit alors que cette cause inconnue ne peut pas se réduire à d’autres causes qui nous sont également inconnues dans leur essence ? et, de même que nous voyons aujourd’hui, par un progrès admirable de la physique, la lumière et la chaleur s’identifier dans leurs causes, pourquoi ne verrions-nous pas aussi la pensée et le mouvement se ramener à un principe identique ? Et si c’est là ce que veut dire l’auteur, s’il admet que la pensée peut avoir une cause mécanique, comment peut-il croire qu’il sauvera, dans une telle hypothèse, l’immortalité de l’âme ?