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une existence commencée ici-bas, et que l’un des rôles qui appartiennent à la terre dans le système universel soit de transmettre la vie, sous une forme immatérielle, à une autre sphère. Ne peut-on pas conjecturer que la nature, ici encore, a créé plus d’élémens qu’il n’était nécessaire, et que, parmi les individus appelés à cette destinée supérieure, un grand nombre seront rejetés comme inutiles, ou plutôt se condamneront eux-mêmes à l’inutilité, que ceux-là seuls enfin s’élèveront à ces nouvelles et meilleures destinées qui auront élevé leur cœur au-dessus de la vie présente et de ses intérêts égoïstes. De là une nouvelle formule de la loi d’immortalité ? L’immortalité n’appartient pas à tous, mais à ceux-là seulement qui l’ont méritée, gagnée, voulue. L’immortalité, nous dit l’auteur, est facultative. Ainsi l’immortalité semble elle-même, comme la vie dans les espèces terrestres, être garantie par le principe de sélection. Seulement, dans les espèces animales, la sélection est fatale, et résulte des lois nécessaires de la nature, tandis que la sélection qui assure l’immortalité : humaine est une sélection libre, qui dépend de notre volonté. Tel est le lien subtil qui unit la théorie naturaliste de M. Darwin à la théorie de l’immortalité facultative. Nous sommes amenés ainsi à la théorie principale de M. Lambert, à sa théorie de la vie future. L’auteur du livre qui nous occupe croit avoir trouvé une nouvelle démonstration de l’immortalité de l’âme, et c’est là déjà une grande ambition. Bien plus, il croit en avoir trouvé une démonstration mathématique, et c’est une ambition bien plus grande encore. Je crains que ce ne soient là deux illusions.

Quel est donc le principe de cette nouvelle démonstration ? Le voici : « Une force une fois créée ne peut être détruite que par une force contraire. » C’est, comme on le voit, un principe de mécanique ; peut-être même pourrait-on en contester la forme, car à la rigueur aucune force n’est jamais détruite en mécanique, mais seulement équilibrée par d’autres forces qui suspendent momentanément son action : correction d’ailleurs plus favorable que contraire au système de l’auteur. Or l’âme, suivant lui, est une force : c’est la force morale ; c’est cette force que l’homme crée en lui-même par le libre arbitre, en préférant le bien au mal, la vertu au vice, l’amour et le dévouement à l’égoïsme. Cette force une fois créée, nous ne voyons rien qui puisse la détruire. Elle doit donc subsister indéfiniment. Eh bien ! si je dépouille cette preuve de sa forme mathématique, je ne puis y voir autre chose que le vieil et banal argument que l’on appelle dans les écoles la preuve métaphysique de l’immortalité de l’âme. À la vérité, l’auteur n’applique cet argument qu’aux âmes vertueuses, ou plutôt, selon lui, ce sont seulement les hommes vertueux qui ont une âme, opinion assez singulière ; mais enfin ces âmes vertueuses subsistent exactement par la même raison que l’on donne d’habitude pour la persistance des âmes en général. L’axiome de M. Charles Lambert n’est autre chose que la traduction mathématique de cet axiome célèbre de Spinoza : « l’être tend à persévérer dans l’être, » qui est le vrai principe de la preuve habituelle des