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de la vie future ; mais croire que l’on peut établir la permanence de l’âme par une loi mécanique aussi nécessaire que la loi du parallélogramme des forces, c’est, je regrette de le dire, une entière, une absolue illusion.

Un autre écueil de la méthode scientifique, c’est de se laisser aller, par l’intérêt même des choses, à des considérations empruntées aux sciences qui n’ont qu’un rapport très éloigné avec le problème philosophique que l’on veut résoudre. Par exemple, M. Charles Lambert commence son livre par un chapitre de chimie organique qui offre un résumé intéressant des derniers résultats de cette science ; mais on ne voit point où ces prémisses le conduisent, et en quoi l’immortalité de l’âme y est intéressée. J’en dirai autant de son chapitre d’embryologie, car cette étude des transformations que subit l’animal depuis la conception jusqu’à la naissance pourrait se comprendre dans une théorie de métempsycose, où l’auteur conclurait des métamorphoses d’ici-bas à d’autres métamorphoses futures ; mais l’auteur n’expose pas un système de métempsycose, et toute cette embryologie, quelque instructive qu’elle soit, me paraît entièrement perdue.

On comprend un peu mieux, quoique le lien soit encore bien lâche, la raison pour laquelle M. Charles Lambert expose et adopte l’hypothèse récente de M. Darwin sur la transformation des espèces. C’est que cette théorie se lie assez bien à celle qu’il essaiera lui-même de faire prévaloir sur la vie future ; c’est qu’elle lui fournit un principe dont il se propose de faire usage : le principe de l’élimination.

On sait quelle est cette théorie renouvelée de Lamarck, mais avec des vues et des raisons toutes nouvelles. M. Darwin se fonde principalement sur l’étude des animaux domestiques et sur les différences considérables que l’on parvient à obtenir dans les races animales en choisissant à dessein pour reproduire l’espèce les individus qui possèdent les caractères les mieux tranchés : sorte de méthode que l’on appelle méthode de sélection. M. Darwin croit que la nature s’est servie d’un procédé analogue pour éliminer dans les espèces primitives les individus incapables de suffire à certaines conditions d’existence, et pour conserver les autres ; c’est ce qu’il appelle la sélection naturelle. En vertu de ce principe, qui n’est pas autre chose, comme on l’a fait remarquer, que la loi de Malthus appliquée à l’ensemble des êtres organisés, ceux-là seuls sont vivans qui ont les avantages nécessaires pour vivre, les autres meurent. Or les individus conservés, ainsi en vertu de certains avantages transmettent ces avantages, en les perfectionnant, à leurs descendans, et toutes ces différences individuelles, se multipliant et se développant avec le temps, deviennent l’origine de diverses variétés de plus en plus divergentes. Les intermédiaires disparaissent peu à peu, les extrêmes subsistent seules, et c’est ce que l’on appelle les espèces. Ainsi l’élimination des faibles, la permanence des forts, telle est la loi la plus générale de la nature organisée. Eh bien ! transportons cette vue de l’ordre physique à l’ordre moral : supposons que, parmi les créatures de ce monde visible, il y en ait qui soient appelées à poursuivre ailleurs