Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offre donc d’immenses difficultés qu’ils n’ont pas connues au même degré. Or voici ce qui arrive souvent chez les esprits ambitieux qui essaient cette union si désirable de la philosophie et des sciences.

Si ce sont des philosophes possédant bien leur science et leurs méthodes, c’est alors par les connaissances scientifiques qu’ils laissent à désirer. Ces connaissances, rapidement acquises la plupart du temps pour le besoin de leurs idées, sont vagues, superficielles, inexactes : par cette fausse science, ils indisposent les savans véritables et déconsidèrent la philosophie auprès d’eux. Si au contraire ils sont vraiment versés dans les sciences et en parlent avec exactitude et précision, ce sont alors les connaissances philosophiques qui leur font défaut. Ils croient introduire une plus grande précision en philosophie en appliquant à des choses d’ordre si différent les formules qui leur sont familières : une étude plus attentive leur fait croire à d’apparentes analogies. L’un applique à la société humaine la loi de l’attraction universelle, l’autre propose de mesurer le témoignage des hommes par le calcul des probabilités ; un autre enfin, comme M. Lambert, voudra démontrer l’immortalité de l’âme par la mécanique. Quand les formules scientifiques sont absolument inapplicables, ces esprits, si exacts dans leur domaine propre, deviennent confus, obscurs, inexacts dans les questions philosophiques proprement dites, et pour introduire dans la philosophie un genre de précision qui ne lui convient pas, ils négligent celui qu’elle peut admettre ; ils oublient ou ils ignorent des distinctions importantes parfaitement établies, des analyses de faits déjà poussées très loin, des ar-gumens très solides. Je ne conclus point de ces observations qu’il faille décourager ceux qui voudraient essayer de telles entreprises ; mais il est bon qu’ils en aient devant les yeux les écueils et les difficultés.

Je ne voudrais pas appliquer toutes ces réflexions à M. Charles Lambert ; cependant il est loin d’avoir évité recueil de sa propre méthode, et la prétention exorbitante d’établir la même exactitude dans la science de la destinée humaine que dans la mécanique céleste choquera certainement à la fois et les philosophes et les savans. Bien peu de personnes seront disposées à se laisser tenter par une promesse telle que celle-ci : « S’il est un ordre d’idées qui ait paru jusqu’ici rebelle à l’introduction des procédés de Newton et de Laplace, c’est assurément celui qui concerne la destinée humaine. Je me tromperais fort cependant, si le lecteur le plus persuadé de la radicale inutilité d’une telle tentative ne se sentait ébranlé par les considérations que je vais lui présenter. » Sans doute les considérations de l’auteur sont intéressantes, peut-être même doit-on lui accorder qu’il a présenté cette grande question sous un jour assez nouveau. Des considérations cependant ne sont pas des démonstrations, et le choix de cette expression employée par l’auteur indique assez la différence ineffaçable qui sépare les sciences mathématiques des sciences morales et religieuses. J’accorde que l’étude des sciences naturelles, l’examen des lois de la vie et de la mort entrent utilement et même nécessairement dans le problème