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un autre camp, appuyés sur les dogmes de l’orthodoxie, deux écrivains pieux et savans, l’un doué de l’esprit le plus vif, l’autre de l’érudition la plus exacte, le père Gratry et M. Martin (de Rennes), ont essayé de lever quelques-uns des voiles qui couvrent la destinée future de l’âme, et de répondre aux difficultés que provoque le dogme de la résurrection des corps. D’autres esprits, abordant la question par le sentiment plutôt que par la science, ont trouvé dans ce problème l’occasion d’édifiantes et nobles méditations : les Méditations religieuses de M. Casimir Wolowski, les Méditations sur la morte et l’éternité, œuvre anonyme dont la reine Victoria vient d’autoriser la traduction, sont, dans des églises différentes, l’expression analogue d’une même foi, d’une même ardeur pour les choses divines. Eh bien ! voici un nouvel athlète qui vient se mêler à ces combats, qui vient, dit-il, armé des procédés les plus rigoureux de la science, entreprendre à son tour la solution de ce problème si difficile, à peine accessible, à ce qu’il semble, à la raison humaine : c’est M. Charles Lambert, écrivain jusqu’ici inconnu dans le monde philosophique, mais que son livre, le Système du monde moral, désigne à l’attention et à l’estime de tous les lecteurs intelligens.

Ce qu’il y a de plus original peut-être dans le livre de M. Charles Lambert, c’est sa méthode, « Pour que mon argumentation soit complète, nous dit-il, il faut qu’aucun des traite généraux de la nature animée ne reste en dehors de mon cadre, et je crois atteindre plus sûrement mon but en paraissant d’abord m’en éloigner, car de nos jours c’est au matérialisme le plus exigeant et le plus positif que toute doctrine spiritualiste éclairée et prudente doit emprunter ses armes. » En d’autres termes, ce sont les sciences physiques et naturelles qui fournissent au matérialisme ses plus forts argumens. Étudions donc ces sciences, transportons-nous sur le terrain de nos adversaires ; mesurons par nous-mêmes et par une étude personnelle les difficultés que l’on nous oppose ; fondons la philosophie spiritualiste sur la connaissance même des sciences de la matière. C’est ainsi que procède l’auteur : c’est par la chimie organique, par l’embryogénie, la zoologie, la géologie, la physiologie, qu’il a commencé l’examen du problème de l’âme ; c’est par l’étude approfondie de toutes les formes de la vie terrestre qu’il s’est préparé à la recherche de la vie future. En un mot, sa méthode consiste à s’élever à la philosophie par le moyen des sciences, et il est inutile de faire observer, à quel point cette méthode est d’accord avec l’esprit de notre temps.

Il y a aujourd’hui, il faut le dire, de la part des sciences, une prétention exorbitante, contre laquelle les philosophes ne sauraient trop se défendre, et qui n’encourage guère aux concessions : c’est celle de prendre la place de la philosophie, d’être la philosophie elle-même. C’est ce qui arrive d’ordinaire aux puissances qui ont été trop longtemps méconnues. Lorsque leur jour vient, ce n’est plus l’influence qu’elles demandent, c’est l’empire ; ce n’est plus le partage du pouvoir, c’est la tyrannie. C’est là qu’en sont arrivés,