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des incertitudes, bien des ajournemens, l’escadre française avait fini par se retirer (janvier 1861), et la flotte sardo-napolitaine se dédommageait amplement de la longue inaction à laquelle notre présence l’avait réduite. Des hauteurs des Cappuccini et de Sant’Agata ou même de Rialto de Castellone, grâce à l’extrême portée des canons Cavalli, une pluie de boulets tombait sur la ville condamnée. Le drame tirait à sa fin, et le dénoûment ne se fît pas attendre. Le rôle que nous y avions joué n’est pas difficile à définir, si on veut bien se rapporter à ce que nous avons déjà dit, et surtout si on rapproche ce rôle de celui qui nous est encore attribué dans la ville éternelle.

Les dernières pages du livre de M. Arrivabene permettent d’entrevoir les conséquences de la politique ainsi continuée. Dans un chapitre consacré à l’avenir de l’Italie, l’auteur résume quelques conversations qu’il eut en 1861 avec M. Rattazzi et le général Garibaldi, à l’époque où le premier venait de succéder au baron Ricasoli, et où le second attendait à l’œuvre la politique inaugurée par ce changement de ministère, politique à double caractère d’où est sortie la prise d’armes d’Aspromonte. Des débats qui venaient d’avoir lieu au sénat et au corps législatif, M. Rattazzi tirait cette conclusion, qu’il existait en France un parti considérable en faveur des droits de la cour pontificale : « Et, ajouta-t-il, ce serait folie pure que de songer à prendre possession de Rome sans le consentement de l’empereur. » Quant à Venise, on ne l’aurait qu’au prix d’une guerre avec l’Autriche, et il fallait se mettre en état de faire honneur à cette redoutable échéance. M. Rattazzi reconnaissait d’ailleurs, en les évaluant fort haut, les services que l’appui moral de l’Angleterre avait rendus à la péninsule, soit en favorisant les annexions au Piémont, soit en maintenant le principe de non-intervention. Garibaldi, sur ce dernier point, se montrait plus enthousiaste encore que le chef du cabinet italien : « L’Angleterre, disait-il, est la garantie des libertés de l’Europe, et nous espérons en elle pour la grande lutte qui approche… »

Il est pénible d’avoir à signaler l’immense et unanime gratitude que l’Italie garde à l’Angleterre en échange de quelques discours et de quelques protocoles, quand il faut ensuite la comparer à la reconnaissance contrainte, soigneusement mesurée, officielle pour ainsi dire et de commande, que lui ont léguée les secours décisifs, les éclatans sacrifices, l’appui longtemps désintéressé dont elle nous est redevable. Il y a là une sorte de phénomène dont il faut se rendre compte, une véritable énigme dont il est bon d’avoir le mot. C’est à ce point de vue que nous avons interrogé le livre dont le titre est en tête de ces pages, ainsi que les documens qui nous aidaient